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Photo du rédacteurMarie-Josée Riendeau

Marie XXII

Dernière mise à jour : 18 avr.



Déjà-vu


Marie continuait de chanter la messe du samedi malgré sa décision de ne plus croire en Dieu. Pour le plaisir de chanter d’abord, bien sûr, mais aussi parce qu’elle aimait les églises. l’odeur d’encens, le silence qui y régnait et l'apaisement que ces lieux lui procuraient. Et puis cela lui permettait aussi de s’éloigner de la maison, car même si l’ambiance y était plus calme depuis le départ de son père, elle y était aussi plus lourde et morose, toujours empreinte d'une profonde tristesse.


Ce samedi-là, en rentrant, elle décida de jouer à son nouveau jeu préféré qui consistait à repérer quelqu’un qui allait dans la même direction qu’elle et d’imaginer sa vie. Elle se mettait alors à la suivre, analysant ses vêtements, sa posture et sa démarche, puis, au détour des rues, des parcs de son quartier et au gré de sa fantaisie, elle lui inventait une vie tantôt trépidante ou tantôt morne et triste. Son choix, ce jour-là, s’était arrêté sur une jeune femme dans la vingtaine; les cheveux auburn, mi-long et légèrement frisé, elle était élancée et sa démarche était souple et légère. Elle avait ce je ne sais quoi qui lui donnait une allure désinvolte. Marie l’avait surnommée Nicole, comme Nicole Martin dont la voix voilée l’émouvait plus que de raison.


Nicole, dans son imaginaire, devait être étudiante en Art à l’Université McGill, elle peignait sûrement, ou peut-être dessinait-elle? Oui, elle dessinait, au fusain, Marie avait toujours aimé les dessins en noir et blanc. Ses parents avaient accepté son choix de cours puisque, de toute façon, elle était promise au fils de leurs meilleurs amis. Elle n’allait donc pas travailler et elle allait…


Soudain, Marie eut un choix à faire. En effet, une fois arrivée au coin de la rue, Nicole tourna à gauche alors que Marie, elle, devait tourner à droite. Elle regarda sa montre, haussa les épaules et, rendue à l’intersection, elle prit à gauche derrière l’héroïne de son histoire.


Ainsi, quelques minutes plus tard, elle se retrouva dans la partie la plus huppée de son quartier. D’immenses résidences faites de grosses pierres grises ou de maçonnerie de qualité bordaient l’un des plus beaux parcs de la ville. Avec ses cascades d’eau et ses bassins surplombés de saules matures et son sentier qui en faisait le tour, ce lieu était l’endroit de prédilection pour une sortie en amoureux. L’esprit romantique de Marie ne put s'empêcher de s’emballer et elle s’imagina donc qu’elle allait assister à la rencontre de Nicole et de son amoureux. Était-ce un amour clandestin? S’agissait-il d’une première rencontre? Ou alors cela faisait il longtemps que les amoureux secrets ne s'étaient vus? Marie était convaincue qu’elle aurait les réponses à toutes ses questions dès qu’elle les verrait ensemble.


Dans sa tête, elle l’imaginait déjà, au loin, lui faisant signe et puis, elle, qui se mit à courir vers lui tout sourire. Mais il n’en fût rien. C’était une femme plutôt qui l’attendait sur un banc, un livre à la main. Absorbée par sa lecture, elle ne vit pas Nicole se poser à ses côtés. Marie, était bien déçue, son imagination débordante l’avait convaincue que le scénario qu’elle avait créé de toute pièce était bien réel et qu’elle allait voir les acteurs s’exécuter devant elle. Mais non. Ce n’était qu’un rendez-vous entre amies.


Bredouille de sensation forte, Marie allait rentrer chez elle, mais pour ne pas avoir l’air suspecte en faisant simplement volte face, elle décida de poursuivre sa marche et de faire le détour en utilisant le sentier du parc. Elle continua donc de les observer en s’y rendant.


La jeune femme au livre leva les yeux vers Nicole et elles se regardèrent longuement. Nicole, dont Marie pouvait maintenant voir le visage, lui sourit béatement et l’autre, visiblement gênée, baissa les yeux, les joues roses d’émotion. Nicole prit alors le visage de son amie et, de sa main délicate, se pencha vers elle pour déposer un baiser sur sa joue. Presque aussitôt, elles s’éloignèrent l’une de l’autre comme prises de panique et regardèrent frénétiquement autour d’elles comme si elles voulaient s’assurer que personne ne les avait vues. Marie, qui était encore à quelques mètres du banc où elles se trouvaient, s’arrêta et fît mine de fouiller dans son sac. Nicole prit la main de son amie et l’entraîna avec elle sur le sentier des amoureux. Marie leur emboîta rapidement le pas mais elles allaient si vite que Marie ne pouvait les rattraper sans être repérée, elle abandonna donc l’idée.


Elle aurait aimé les suivre, elle aurait aimé savoir, elle aurait aimé valider ce qu’elle avait ressenti… Elle sentait une fébrilité dans son ventre et son cœur palpitait presque.


  • Ce doit être la marche rapide se dit-elle en regardant les demoiselles s’éloigner au loin en ricanant.


Marie continua de marcher sur le sentier mais, cette fois, en trainant du pied. Elle revoyait le baiser sur la joue, la main sur l’épaule. Avait-elle rêvé? La fille au livre avait-elle pressé sa main sur la cuisse de Nicole? Ce regard coupable jeté aux alentours pour voir si elles avaient été surprises en flagrant délit. Et cet empressement à quitter le banc de parc.


  • Je me fais du cinéma là, se dit Marie, un peu trop emballée par les images dans son esprit.


Elle prit une grande inspiration pour chasser ses mauvaises pensées et longea le baraquement du jardinier situé au milieu du parc et, arrivée à l’intersection après le bâtiment, elle prit à droite, en direction de chez elle. Se retrouvant ainsi, derrière la bâtisse.


Il se faisait tard et le soleil descendait lentement dans le ciel emmenant avec lui un peu de sa chaleur. Marie fît une pause pour prendre son coupe-vent dans son sac. En se penchant elle vit derrière les buissons deux paires de pieds. Elle se releva lentement, suivant des yeux les jambes qui allaient avec les souliers.


Elle retint un hoquet de surprise en reconnaissant Nicole et son amie qui, maintenant s’embrassaient à pleines bouches, de ces baisers de passion, de ceux que l’on voit dans les films et qui n’ont plus rien de chaste et d’amical. D'où Marie se tenait, elle pouvait entendre leurs respirations haletantes et saccadées, elle-même qui n’osait plus respirer. Elle se sentie rougir et prise d’une sensation étrange, une vibration singulière qui lui rappela quelques rêves qu’elle avait fait par le passé et certaines images aussi qu’elle avait tout fait pour chasser.


Elle resta là, à les regarder, figée par le bourdonnement de son corps et prise de vertige devant la force de ce qu’elle sentait monter en elle.


  • Qu’est-ce que tu regardes là petite peste! Dégage! lança furieusement Nicole qui avait fini par surprendre la voyeuse.


Marie quitta les lieux à la vitesse de la lumière et rentra chez elle encore toute fiévreuse. Diane, en colère, l’attendait de pied ferme.


  • C’est là que tu te décides rentrer! Ça fait presque deux heures que tu es supposée être ici! On t’a tellement attendu pour souper que finalement on a mangé froid!

  • Qu’est-ce qu’on mange? Coupa Marie sans sembler être déranger par le courroux de sa mère.

  • Toi! Rien. Le repas est terminé. Tu mangeras demain.


Marie avala deux grands verres d’eau et alla dans sa chambre. Elle prit l’un des trois seuls 33 tours qu’elle possédait, le déposa sur la table tournante et plaça délicatement l’aiguille à l’endroit choisi et se laissa rêvasser en écoutant “ tes yeux”, de Nicole Martin.


Le lundi arriva au plus grand soulagement de Marie. Elle avait passé son dimanche à faire ses leçons et ses travaux, du moins, avait-elle tenté de les faire car son esprit était entièrement occupé par les images de la veille. Elle espérait avoir la chance de croiser Anne et, peut-être s’il en trouvait le courage, de lui en parler.


À la pause du matin, Marie courut donc à l'étage du dessus, à sa recherche. La marée d'adolescents de troisième secondaire était grande et dense, elle se faufila donc à travers elle jusqu’à la case de son amie.


Anne fouillait dans son casier frénétiquement lorsque Marie arriva à ses côtés.


  • Salut! dit Marie d’un ton qu’elle voulait enjoué et léger.

  • Salut? Répondit Anne en sortant la tête de derrière la porte. Ah c’est toi?

  • Ben oui, sourit-elle, c’est juste moi.

  • Qu’est-ce que tu fais à l’étage des grands? Tu t’es perdue?

  • Ha ha! Très drôle. Non, je te cherchais. Qu’est-ce que tu fais après l’école?

  • J’ai mon cours de violon Pourquoi?

  • Ah… Dit Marie, l’air un peu déçue. Pour rien. Comme ça. Je sais pas, on aurait pu aller au parc, juste pour marcher.

  • Ça ne va pas?

  • Oui oui, ça va bien! mentit Marie.

  • Hmm, ouais, c’est ça… Malheureusement, je ne peux pas. Mais j’ai mon lunch, si tu veux, on pourrait faire ça ce midi? Il fait super beau en plus, on pourrait manger dehors.

  • Je n’ai pas le mien.

  • Ce n’est pas grave on te prendra quelque chose à la cafétéria. Ne dit rien! Je sais que tu n’as pas de sous, c’est moi qui te l’offre. Maintenant laisse-moi trouver mon cahier de maths, les cours vont reprendre d’une minute à l’autre.


Marie retourna en classe rapidement. En chemin, elle prit conscience de ce qu’elle s’apprêtait à faire et fut tout à coup prise de panique. À quoi avait-elle pensé? Allait-elle vraiment dévoiler ses pensées les plus intimes à l’une de ses rares amies? Allait-elle prendre le risque de la perdre?


  • Veuillez prendre vos cahiers à la page 429, s’il vous plaît.


La voix de Mme Leduc raisonna dans ses oreilles et la sortit de sa rêverie. Elle regarda sur son pupitre pour faire ce qu’on lui demandait et saisit son cahier de français car, ayant passé sa pause avec Anne, son cahier de science était resté dans son casier.


Malgré tous ses efforts, Marie ne put se concentrer sur la matière présentée à l’avant de la classe. Son esprit vagabondait ça et là, tantôt elle gribouillait dans son cahier, tantôt elle fixait droit devant elle et, tantôt, elle regardait par la fenêtre, de sorte que, lorsque la cloche retentit pour annoncer la pause du dîner, elle n’avait pas vu l’heure passer.


Soudainement nerveuse à l’idée de se confier à sa meilleure amie, Marie prit ses effets et se dirigea vers la porte. Au moment où elle allait sortir de la classe, son professeur l’interpella.


  • Marie! Attends un peu. Dis-moi? Ça va? Tu n’étais pas très concentrée aujourd’hui il me semble. Demanda Mme Leduc en pesant ses mots.

  • C’est que je n’avais pas pris les bons cahiers. À la pause, je n’ai…

  • Je vois, coupa-t-elle, mais tu aurais dû me le dire voyons, tu sais très bien que j’ai toujours un ou deux livres en surplus et des feuilles vierges sur mon bureau.

  • Ah heu oui, je n’y avais pas pensé.

  • Bon. Écoutes, une fois ce n’est pas si grave, mais il faut être plus attentive en classe, tu le sais hein? Et puis les examens du ministère s’en viennent aussi.

  • Oui Madame.


Madame Leduc sourit avec indulgence devant l’air penaud de son élève et ajouta:


  • Ces derniers temps, tu es souvent distraite et tu semble préoccupée. Comme ça m’inquiète un peu, je veux que tu saches que je suis toujours disponible pour toi si tu en as besoin. Tu peux venir me voir quand tu veux, ma porte est ouverte, d’accord?

  • Merci Madame Leduc.


Marie quitta la classe de science avec un sourire en coin.


  • Je ne peux clairement pas lui parler de ça voyons! Dit-elle à voix haute en se rendant à sa case.

  • Parler de quoi à qui? Demanda Anne qui l’avait rejoint dans le corridor.

  • Heu… Rien.

  • Mais si, dis-moi! Insista-t-elle en lui donnant un petit coup de coude.

  • Tantôt, trancha Marie, allons nous chercher à manger et nous installer.

  • Tu me fais languir c’est ça?

  • Oui c’est tout à fait ça. Mais non voyons, mais je meurs de faim, mentit-elle.


Le cerveau de Marie bouillonnait tant ses pensées allaient dans tous les sens. Mais que voulait-elle lui dire au juste? Qu’elle avait vu deux jeunes femmes s’embrasser à pleine bouche et qu’elle n’arrêtait pas d’y penser depuis? Qu’elle en rêvait la nuit et qu’elle se réveillait avec des sensations honteuses? Non, bien sûr que non, il fallait trouver autre chose.


Elles allèrent à la cafétéria et Marie resta plantée devant le comptoir de sandwich, indécise. Bien sûr ils n’avaient rien des sandwichs préparés par son père qui étaient un vrai délice mais, tout de même, il fallait choisir entre celui; crémeux et délicat aux oeufs, celui au jambon et au fromage jaune qui, bien qu’il aurait pu être de meilleure qualité apportait un touche d’amertune équilibrée avec la moutarde et, finalement, celui au poulet, crémeux aussi mais avec de la mâche et dans lequel l’on croque un morceau de céleri ou d’oignon et qui explose de saveur dans la bouche.


  • Ben allez Marie! Le dîner ne dure qu’une heure hein?

  • Oui oui! Je vais me décider.

  • Non mais! Il n’y a que toi pour hésiter aussi longtemps devant un comptoir de sandwich de cafétéria quand même!! S’exclama Anne, exaspérée.


Marie finit par choisir le sandwich au poulet et les filles passèrent enfin à la caisse.


Pendant qu’elles se rendaient au parc pour leur pique-nique improvisé, Anne ne faisait que taquiner son amie sur sa lenteur à faire un choix.


  • Non mais je n’ai jamais vu ça hein? Je te le jure! 5 minutes pour choisir un sandwich qui ne sera même pas bon.

  • Mais c’est important, justement parce que ce n’est pas les meilleurs de choisir celui dont on a le plus envie!

  • Mais quand même! Il y avait une file qui commençait à être très impatiente derrière.


Marie, qui ne savait plus désormais si elle voulait vraiment aborder le sujet qui la préoccupait plus tôt, continuait d’argumenter avec son amie. Elles riaient tout en s’obstinant, leurs propos empreints d’une belle camaraderie.


Arrivées au parc à côté de l’école, les filles traversèrent le bassin encore vide et se rendirent au bâtiment blanc aux allures de ruines grecques, de l’autre côté s’y trouvait une table et elles espérait bien pouvoir s’y installer. Mais elle était déjà prise et les deux jeunes filles durent aller encore plus loin en direction de la section pour bambins avec ses bacs à sable, ses deux petites structures en bois et ces balançoires à harnais.


L’endroit était bruyant mais elles trouvèrent un banc libre et s’assirent. Elles sortirent leurs lunchs et commencèrent à manger.


  • Bon alors? Parle-moi de ce qui te tracasse.


Marie cherchait les mots, ceux qui traduirait son malaise mais qui ne trahirait pas ces pensées secrètes non plus. Elle commençait à stresser sentant le regard de son amie posé sur elle.


  • Allez! Tu n’es plus devant le comptoir à sandwich! Taquina Anne.


Marie tourna la tête vers son amie, prête à lui mentir en lui disant qu’elle s’inquiétait de ses examens de fin d’année quand elle aperçu sur le banc d’à côté, un homme aux cheveux longs d’un poivre et sel terne sous un crâne lisse. Sa tête était tournée vers l’espace de jeu mais Marie était certaine de le reconnaître… la position de ses mains sur ses genoux osseux, ses épaules un peu tombantes, ses pieds croisés l’un sur l’autre et la façon dont son torse se gonflait à chaque inspiration. C’était lui, elle en était certaine.


Il tourna lentement la tête vers les deux adolescentes montrant son long nez au bout arrondi et sa mâchoire finement dessinée sous des pommettes saillantes. C’était bien lui.


Marie en avait le souffle coupé.


Il les regardait sans les voir, ses petits yeux marrons regardant au loin. Elle ne pouvait détacher ses yeux de cet homme qu’elle n’avait jamais pu oublier malgré qu’elle avait tant essayé. Cet homme qu’il l’avait rendue impure. Il regardait derrière elles, sa bouche s’ouvrant maintenant en un rictus affreux, montrant ses petites dents rondes.


  • Marie! Qu'est-ce que tu as? tu es blanche comme un drap. On dirait que tu as vu un fantôme.

  • Viens, il faut partir d’ici! Dit-elle en se levant.


En partant, elles croisèrent un jeune garçon et une petite fille. Il devait avoir environ 10 ou 11 ans et elle, elle, peut-être 6 ou 7. Un frisson parcourut le dos de Marie, son sang se glaça. Elle ne voulait pas les suivre du regard, elle ne voulait pas regarder derrière pour voir si ses craintes se révèleraient fondées. Mais elle ne put résister.


La main posée sur l’épaule du jeune garçon et l’autre caressant le petit minois de la fillette. Il souriait d’un air faussement bienveillant. Ses yeux brillaient d’une lueur d’excitation que Marie reconnut et qui la rendit nauséeuse.


Elle ferma les yeux pour ne plus voir, chassa les souvenirs qui montaient malgré elle et se mit à courir, laissant Anne derrière, pantoise.




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