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Photo du rédacteurMarie-Josée Riendeau

Marie XX

Dernière mise à jour : 24 mars

Le jour après


Marie se réveilla à l’aube. Le ciel était encore très sombre dehors car les nuages cachaient les premiers rayons de soleil. Elle avait les yeux bouffis par les larmes que son sommeil n’avait pas réussi à calmer, son oreiller était humide et elle se sentait courbaturée par ses sanglots.

Elle resta dans son lit à regarder les nuages qui maintenant marbraient le ciel de gris. Elle avait tant pleuré qu’elle ne savait plus si les larmes avaient cessé parce qu’elle était allée au bout de son chagrin ou si c’était parce la colère avait pris le dessus que ses yeux s’étaient finalement taris.

Le ciel s’assombrit davantage et il y eut un éclair, suivit de peu d’un coup de tonnerre retentissant puis, il se mit à pleuvoir. Marie aimait les orages, elle ferma donc les yeux afin de mieux entendre la pluie tomber et, lentement, les larmes revinrent. Elles se frayèrent un chemin à travers le bruit de la tempête qui sévissait dehors comme dans le cœur de Marie jusqu’à éclater tel le tonnerre un peu plus tôt. La douleur n’était donc pas disparue. Non, elle était encore là, peut-être même, peut-être même qu’elle ne partirait jamais plus.

Elle entendit son père se lever et regarda son réveil qui affichait 5h45. Elle écouta ses pas pesants qui longeaient le corridor, elle entendit la porte de la salle de bain puis la chasse d’eau, ensuite le robinet qui coule, et, finalement, les pas qui reprennent. Marie reconnut chaque son, chaque bruit routinier qu’André faisait tous les matins, et ce, toujours dans le même ordre.

Elle essuya ses yeux du revers de sa manche et se leva.

  • C’est l’orage qui t’a réveillée? Questionna André sans conviction.

  • Non, soupira-t-elle.

  • Ah…

Marie se servit un chocolat chaud et s’assit en face de son père. Ils restèrent muets, chacun regardant sa tasse, perdu dans ses pensées.

  • Vas-tu travailler aujourd’hui?

  • Oui… Je ne serai utile à personne ici. Répondit André en se racla la gorge pour tenter de chasser le trémolo de sa voix. Et, toi, tu vas à l’école?

  • Je ne sais pas encore.

André avala sa dernière gorgée de café, se leva puis ébouriffa la tête de sa fille.


  • Fais comme tu le sens. Comme ta mère te l’a dit, tu n'es pas obligée d’y aller si tu n’en avais pas envie. Dit André avant de prendre ses clés et de partir.


Marie se retrouva seule devant son chocolat à regarder la pluie tomber.

Quelques instants plus tard, Diane la rejoignit dans la cuisine. Elle se levait au terme d’une nuit sans sommeil, les traits tirés et les yeux gonflés, délavés par les larmes. Elle s’assit en face de Marie avec son café et, tout en prenant ses premières gorgées, elle se remit à pleurer doucement. Malgré elle, malgré ses efforts pour garder ses émotions à distance, les larmes coulaient en silence. Puis tout à coup, la douleur ne pouvant plus être contenue, les sanglots se firent plus forts et plus intenses. Marie la regardait, impuissante devant l’intensité de sa blessure.

  • Elle n’est plus dans mon ventre… elle devrait être dans mes bras, gémit Diane à travers ses larmes et en croisant ses mains sur son cœur.

Marie se leva et alla près de sa mère. Elle l’a pris dans ses bras, la berça doucement sur sa chaise, ses propres larmes se mêlant maintenant aux siennes. Elles pleuraient ensemble, étrangement unies par une souffrance commune et semblable.

De longues minutes passèrent et, peu à peu, la vague de chagrin s’estompa. Marie prit de profondes respirations afin de chasser le reste de ses sanglots et quand elle voulut retourner à sa place, Diane lui tint le bras pour la retenir un peu plus longtemps. Elle n’était pas encore prête à se retrouver seule avec le trou dans son ventre et dans son cœur de mère. Puis au bout d’un moment, elle relâcha lentement sa poigne en lui faisant un signe de tête. Elle pouvait la laisser maintenant.

Elles se mouchèrent et s’essuyèrent le nez en même temps tout en se souriant tristement. Marie prit les mouchoirs souillés pour les mettre à la poubelle. Elle l’ouvrit et, sur le dessus, la petite boîte plate y était encore. Elle hésita, elle restait plantée là à regarder dans les ordures, le couvercle dans les mains.

  • Qu’est-ce qu’il y a? Demanda doucement Diane.


En guise de réponse, Marie se pencha et, du bout des doigts, prit la boîte souillée et sortit le papier de soie.

J’avais acheté ça à Québec pour Anne-Lou…Pour Marie-Thérèse. Se reprit-t-elle en déposant le bonnet rose devant sa mère.

Diane admira le fin tricot en caressant la délicate broderie de laine et le cordon de satin.


  • Il est magnifique Marie. Pourquoi l’avais-tu jeté?

  • Parce qu’elle ne le portera pas et que personne ne le portera. Répondit-elle avec une pointe de colère.

  • Garde-le. Fais-moi confiance et garde-le précieusement. C’est trop tôt pour t’en départir.

  • Mais ça ne servira à rien!


Diane dévisagea sa fille avec indulgence.


  • D’accord Marie, fini par dire Diane dans un soupir. Voici ce que je te propose; pour le moment, je vais le déposer sur le petit meuble dans sa chambre. Et tu décideras plus tard si tu le gardes ou non. Est-ce que ça te va comme ça?


Elle accepta pour ne pas froisser sa mère qui en avait déjà assez

à surmonter même si, au fond d’elle-même elle restait convaincue qu’elle ne

reprendrait jamais le petit bonnet rose.

Je vais me préparer pour l’école, annonça soudainement Marie. Peux-tu m’écrire un billet? Je vais être en retard pour le premier cours.

Elle était en train de se vêtir quand Rachel ouvrit les yeux.

  • Qu’est-ce que tu fais? Tu vas à l'école?

  • Oui, pas toi?

  • Non, je n’ai pas envie d’avoir à dire à tout le monde que le bébé est mort. · Aujourd’hui ou demain, faudra bien le dire un jour.

  • Oui. Je sais.

  • Ben alors?

  • Pas aujourd’hui.

  • Comme tu veux. Salut!


Marie marcha lentement sur le chemin de l’école. Elle avait besoin de temps afin d’être prête à affronter ses amies et ses professeurs.

Elle savait que rien ne l’obligeait à faire ça aujourd’hui, Rachel l’avait bien compris, mais Marie n’avait pas envie de passer la journée à regarder sa mère pleurer et, surtout, elle ne voulait pas ressentir sa propre douleur. La seule chose qu’elle pouvait faire dans l’immédiat était d’aller dans le monde et faire ce qu’elle avait à faire. Il fallait qu’elle soit forte, elle le devait. Il fallait simplement que la vie continue.

Les corridors de l’école étaient vides et les portes des classes closes. Marie dont les pas résonnaient dans le couloir désert se rendit jusqu' à sa case et y mit sa veste puis elle resta là, debout devant son casier ouvert, les bras ballants et les yeux dans l’eau. La cloche retentit et les élèves sortirent des classes, se déplaçant bruyamment d’une classe à une autre, afin de se rendre à leurs prochains cours.

Le bruit des casiers qui claquent et des conversations animées entre les uns et les autres, était assourdissant mais Marie n’y portait aucune attention, elle essayait de se rappeler ce qu’elle devait faire. Elle regarda le papier qu’elle avait entre les mains. C’était le billet que sa mère avait rédigé avec sa plus belle écriture. Elle devait le porter à la secrétaire du directeur afin de pouvoir entrer en classe. Se souvenant désormais de ce qu’elle avait à faire, elle referma lentement la porte de sa case et se dirigea nonchalamment vers les bureaux de la direction en se faufilant à travers la foule d’étudiants. Elle arriva au secrétariat où elle échangea le billet de sa mère contre celui de l’école et se rendit finalement à son cours de français.

Assise près de la fenêtre, elle regardait dehors. La pluie tombait encore, le temps à l'extérieur ressemblait à son humeur morne et grise. Elle n’écoutait pas les règles de l’accord du participe passé employé avec le verbe avoir que le professeur s’évertuait à expliquer à l'avant de la classe. Dans son esprit, tous les mots et les explications qu’il donnait ne servaient que de trame de fond aux réflexions de Marie.

Pourquoi Dieu était-il si méchant avec elle? Pourquoi avait-Il été aussi cruel? Il lui avait enfin permit de toucher du bout des doigts au bonheur, d’y goûter, et comme ça, d’un revers de la main, Il l’avait éloigné d’elle.

  • Marie! Dis-moi, comment écrit-on le participe passé dans cette phrase? demanda Monsieur Dupont en pointant le tableau de sa craie.

Marie tourna la tête vers son professeur les yeux rougis et les larmes inondant son visage. Surpris de voir autant de tristesse chez son élève, il se racla légèrement la gorge et s’adressa à un autre élève.

À la fin du cours, pendant que les étudiants se ruaient à l'extérieur de la classe. Marie prenait son sac avec nonchalance et s’apprêtait à sortir.

  • Marie, peux-tu rester quelques minutes?


Marie s’arrêta et, en soupirant, elle se rapprocha du bureau.


  • Veux-tu en parler?

  • Pas vraiment, je ne veux pas me remettre à pleurer, répondit elle les larmes menaçant déjà de déborder.

  • Mais tu ne peux pas rester comme ça voyons! Ça ne va pas à la maison?

  • Ma sœur est morte, fini par dire Marie en pleurant.

  • Quoi? Rachel est morte? Mais comment?

  • Non, pas Rachel! Le nouveau bébé.

  • Ah! Fit-il soulagé.


Marie le fixa avec des couteaux dans les yeux.


  • Je sais que c’est triste! Mais au moins tu ne l'as pas connue , tu vois?

  • Vous ne comprenez rien à rien! Cria-t-elle en tournant les talons et laissant monsieur Dupont pantois.


Dans l’après-midi, la nouvelle avait vite fait le tour et Marie reçu des mots de sympathie et de condoléances de ses amis et de certains professeurs. Mais parfois, alors qu’ils la surprenaient à pleurer, elle en entendait d’autres qui se moquaient de son chagrin.

  • Je ne sais pourquoi elle pleure, elle ne la connaissait même pas! Disaient-ils.


Toute la journée, Marie tangua entre larmes et colère. Elle pestait contre ceux qui ne comprenaient pas sa souffrance, elle leur en voulait de lui enlever le droit d’avoir mal. Elle en voulait à Dieu pour sa décision arbitraire de lui enlever sa petite sœur, son bébé. Elle lui en voulait tout en culpabilisant de cette rage qui montait en elle à la seule vue d’un crucifix.

À 15:30, quand la cloche retentit, Marie était soulagée que cette pénible journée soit enfin terminée. Elle rentra chez elle épuisée et rompue. Elle alla dans la chambre de Marie-Thérèse où elle trouva Diane, assise sur la berceuse qui se balançait, les yeux hagards qui fixait le berceau.

Marie ne la dérangea pas et referma la porte sans faire de bruit. Plus tard elle aida son père à préparer le repas du soir et fut soulagée de voir que l’heure d’aller au lit était enfin arrivée. Elle avait survécu à cette première journée.

Les jours qui suivirent se ressemblèrent et Marie traînait toujours sa peine comme un fardeau. Elle n’arrivait pas à sourire et elle pleurait encore souvent, trop apparemment aux dires de certaines de ses amies qui commençaient à trouver qu’elle exagérait peut-être un peu. Alors elle prit sur elle et fît mine d’aller mieux, elle se cachait pour déverser son chagrin.

Quand le week-end arriva, Marie, qui n’en pouvait plus de faire semblant, s’enferma dans sa chambre et refusa d’en sortir et ce, même pour aller à la chorale. Diane comprit que Marie avait besoin de solitude et d’espace alors elle n’insista pas.

Le samedi matin, Marie voulut rester barricadée dans sa chambre une fois de plus. Cette fois Diane insista mais son propre moral étant au plus bas, elle n’eût pas assez d’énergie pour la convaincre et elle laissa tomber.

A l’heure du dîner Diane retourna voir sa fille.


  • Viens manger Marie. Tu n’as rien avalé depuis hier midi. Ce n’est pas bon pour toi. Il faut que tu manges quelque chose.

  • Je n’ai pas faim.

  • C’est impossible ça. Je sais que tu ne le ressens pas mais tu verras, ça te fera du bien.

  • JE N’AI PAS FAIM! Laisse-moi tranquille! cria Marie à sa mère.

  • Tu ne me parleras pas comme ça jeune fille! Je comprends que tu aies de la peine, on en a tous ici! Et je ne vois personne d’autre crier dans la maison. Alors tu vas te lever et venir manger. Répondit Diane d’un ton ferme et sec.

  • Je ne….

  • Ce que je viens de dire ne faisait appel à aucun commentaire et n’était pas ouvert à la discussion. Tu fais ce que je t’ai dit, un point c’est tout!


Marie senti qu’elle n’avait pas le choix et obtempéra. Elle s’assit à table et, au bout d’un moment, elle dû reconnaître que la crème tomate chaude lui faisait du bien.

Le lendemain matin, quand sa mère demanda à Rachel et à Marie de se préparer pour la messe dominicale. Marie, d’un ton direct et franc, lui répondit qu’elle ne voulait plus y aller. Diane la regarda estomaquée. Elle se tourna vers Rachel.

  • Moi non plus je ne veux plus y aller maman. En fait je n’ai jamais voulu y aller.

Diane s’avoua vaincue et rendit les armes. Ses filles n’iront donc plus à la messe du dimanche.

Ce soir-là, une fois sa toilette faite et son pyjama enfilé, Marie replia le papier de soie sur le précieux bonnet et le remit dans sa commode, tout au fond, bien caché en dessous de ses sous-vêtements.




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