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Photo du rédacteurMarie-Josée Riendeau

Marie XXVII

Dernière mise à jour : 19 mai


Le parking




Marie sortit de chez elle en claquant la porte. Elle savait bien que Diane avait horreur de ça et qu’elle venait d’empirer la situation avec sa mère, mais ça avait été plus fort qu’elle. La colère, le sentiment d’injustice et la peine qu’elle ressentait l'avaient envahie et avaient crée une boule d’émotion trop puissante pour être contenue et avait éclatée.


Elle ne savait pas vraiment où elle allait mais elle devait bouger, marcher ou courir, n’importe quoi, finalement, pour que ces sensations désagréables disparaissent. Des larmes de rage coulaient sur ses joues. Elle n’était donc bonne à rien? Du moins c’est ce que sa propre mère pensait... qu’elle n’irait nulle part, trop maladroite, trop paresseuse et pas assez bonne…


Elle prit la ruelle à droite et tomba pile sur Patrick qui était appuyé contre le mur de briques.


Tu sais qu’on est presque à la mi-mai? lui demanda Patrick avec un sourire sadique.


  • Oui, et alors?

  • Il paraît que ta mère n’a pas encore payé le loyer.

  • Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse? Que je le paie à sa place?

  • Si c’est en nature, pourquoi pas?

  • Je ne crois pas que tes parents soient très intéressés par ce genre de paiement.

  • Non mais ta mère serait peut-être intéressée de savoir ce que sa fille a fait. Dit-il en se rapprochant d’elle.

  • Tu sais quoi Patrick? Ma mère s'en fout complètement de moi alors tes menaces tu peux les garder ou te les mettre où je pense!!

  • Fais attention à ce que tu dis salope! Dit-il en l’agrippant par le bras, moi je suis gentil mais j’en connais un qui te manquera pas si je lui parle..


Marie en avait marre, marre de lui, marre de ses menaces.


  • T’as pas de couilles! Avoue-le ! Sans lui t’es rien. Attends-tu après lui pour aller chier aussi?


Patrick prit ses deux mains et la plaqua contre le mur, il était écarlate. Il mit sa main droite contre son cou.


  • Je vais te montrer qui mène, moi!


Marie était morte de trouille mais elle soutint son regard sans broncher.


  • Si t’es si fort, parvint-elle à souffler, pourquoi tu ne me baises pas comme un homme au lieu de me pisser dessus comme un chien?


Patrick lâcha son cou et lui envoya un coup direct au ventre.


  • Tu ne perds rien pour attendre sale pute, lui promit-il en lui crachant dessus.


Marie était pliée en deux dans la ruelle mais plus par réflexe qu’à cause de la douleur. Il l’avait frappé maladroitement et le coup n’avait pas touché comme il l’aurait voulu. Une chance pour elle, Patrick n’avait jamais été un bagarreur.


Elle se releva et essuya le cracha sur son chandail avec l'intérieur de sa manche. Elle ne pensait plus à la dispute qu’elle avait eu avec sa mère ni à son avenir pitoyable car, pour la première fois, elle avait tenu tête à Patrick. Elle se doutait bien que cet accrochage n’en resterait pas là et qu’elle paierait cher son insolence mais elle s’en fichait complètement, pour le moment elle était juste contente de l’avoir blessé dans son orgueil. Elle lui avait enfin dit ce qu’elle pensait depuis longtemps.


Elle reprit donc sa marche la tête haute et fière. Désormais, il ne pourrait plus utiliser ses vieilles menaces qui ne voulaient rien dire.


Elle erra tout l’après-midi dans son quartier et rentra chez elle comme si rien ne s'était passé. Diane aussi fit mine d’avoir oublié leur altercation et donc, le reste du dimanche se déroula comme tous les autres dimanches.


Le lendemain matin Marie se pressa pour arriver tôt à l’école. Elle espérait attraper Anne avant le début des cours pour lui demander ce qui n’allait pas. Elle se rendit à son casier, au troisième étage, et attendit qu’elle arrive. Les couloirs étaient presque vides, il n’y avait que quelques étudiants ici et là qui, la tête plongée dans un manuel scolaire ou finissant leur devoir, attendaient eux aussi le début des classes.


Marie reprit la lecture du livre de Martin Gray en attendant son amie.


  • Salut Marie! Alors tu n’es pas venue chanter samedi?

  • Non, comme tu as pu le constater, répondit Marie à Pascal qui venait vers elle. Je suis aller garder.

  • Ha c’est cool ça. Tu es tôt ce matin, non ?

  • Oui, mais toi aussi!

  • Oui, mais moi ça m’arrive souvent. Aujourd’hui j’avais une rencontre avec le comité de promo.

  • Ah!

  • Toi, c’est quoi ton excuse?

  • Je voulais voir une amie avant les cours. Tiens! la voilà justement.


Anne venait d’arriver en haut des escaliers et, le nez dans un bouquin, marchait vers son casier. Lorsqu’elle leva les yeux et vit Marie, elle s’arrêta net, hésitant à poursuivre son chemin jusqu’à elle puis elle leva les yeux au plafond et, avec un soupir, rejoignit son amie.


  • Salut. Dit Anne sèchement.

  • Salut! ça va? demanda Marie sur un ton désinvolte.

  • Bon, je vais vous laisser moi, dit Pascal.

  • Non non, ne pars pas à cause de moi, objecta Anne rapidement, je ne reste pas de toute façon.

  • Oui oui, tu restes, insista Marie puis, plus brusquement qu’elle l’aurait souhaité, elle ajouta. Pascal, excuse-moi mais je dois parler à Anne.

  • Ouais, ben bonne journée à vous deux, dit Pascal en s’éclipsant un peu vexé.


Anne le regarda partir, fuyant le regard perçant de Marie.


  • Qu’est-ce que tu as?

  • Je n’ai rien, pourquoi tu le demandes? répondit-elle en ouvrant son casier et jouant l'innocente.

  • On dirait que tu m’évites.

  • Mais non! Pas du tout, tu t'imagines des choses!

  • Tu me prends pour une conne?

  • Mais non…

  • Mais quoi alors?

  • Rien, ce n’est rien. Finit-elle par lâcher.


Marie croisa les bras sur sa poitrine et s’appuya contre les casiers, insatisfaite de la réponse de son amie.


  • Écoute, reprit Anne, de toute évidence, tu as ton jardin secret, oui?


Marie détourna son regard.


  • Et bien j’ai le droit d’avoir le mien aussi, d’accord?


Marie ne répondit rien mais, au bout de quelques secondes et à contrecœur, elle acquiesça finalement d’un signe de tête.


  • Alors on oublie tout et on recommence? Demanda Anne.

  • Si tu veux.


Anne fit une pause, secoua ses cheveux courts comme si elle voulait qu’ils flottent au vent et afficha son plus beau sourire.


  • Tu sais quel jour ce sera... pas ce samedi mais l’autre après? demanda Anne d’un ton enjoué.

  • Non? répondit Marie sur le même ton.

  • Non? Tu me déçois ma petite Marie. C’est mon anniversaire, tu l’as oublié?

  • Mais non! Ta fête, c’est le… Ah oui, merde, c’est dans deux semaines.

  • Je t’agace, ce n’est pas important. Ce qui l’est par contre, c’est que ma mère organise une soirée film et pyjama pour l’occasion et j’ai le droit d’inviter 3 de mes amies. Tu veux venir?

  • Oh Oui, je veux bien! Si ma mère est d'accord évidemment.

  • Évidemment. J’invite aussi les jumelles, Sophie et Chantal, tu ne les connais pas mais elles sont super chouettes, tu vas les aimer.


Et Anne se mit à raconter le plan de la soirée dans tous ses détails, jusqu’à ce que la cloche sonne. Elles passèrent ensuite l’heure du lunch ensemble et Marie était heureuse de constater que leur amitié était revenue à la normale.


À la sortie des classes, les deux amies se retrouvèrent pour marcher ensemble et ainsi, pouvoir continuer de rêver de la soirée pyjama.


Mais en sortant de l’école, Marie s’arrêta net en haut des marches lorsqu’elle reconnut les deux garçons qui fumaient calmement, leurs dos appuyés contre le mur de l’école.


Le premier, un colosse aux cheveux noirs bouclés et la barbe déjà apparente, la fixait d’un regard dur et froid en tirant sur sa clope. Le deuxième lui, un gringalet aux cheveux roux, la regardait avec un sourire aux lèvres, l’air triomphant.


  • Anne, je suis désolée mais j’ai oublié quelque chose dans ma case, je dois retourner le chercher. Pars sans moi, on se voit demain, dit-elle d’un ton étonnamment calme.

  • Tu veux que je t'attende? Demanda Anne qui sentait que quelque chose n’allait pas.

  • Non non, vas-y, je vais voir si Madame Cusson est à son bureau aussi. J’aimerais lui demander un délai pour mon rapport de laboratoire.

  • Comme tu veux… tu es certaine que ça va?

  • Oui oui, je dois y aller là.


Elle fit mine de retourner à l’intérieur en regardant Anne partir du coin de l'œil. Les deux garçons s’avancèrent vers elle et elle, après un moment d’hésitation, se mit à descendre les escaliers vers eux, d’un pas incertain.


Lorsqu’elle fut sur le trottoir, Joseph se pencha vers elle comme pour lui faire la bise mais, plutôt, il l’agrippa fermement par le bras et glissa à son oreille.


  • Tu viens avec nous.

  • Je ne peux pas… ma mère m’attend, mentit Marie nerveusement.

  • Et tu crois que ça me dérange?


Il se redressa et mit son large bras autour de ses épaules et, en faisant semblant de rire, la força à marcher à ses côtés. Patrick emboîta le pas, il jubilait.


  • Vous n’êtes pas à l’internat ? Demanda Marie pour briser un silence qui la rendait encore plus anxieuse.

  • J’y vais plus! C'est fini pour moi ces conneries là. Je viens d’avoir 16 ans alors j’ai lâché l’école et je me suis trouvé un boulot avec mon cousin. Je vais me faire plein de cash. Dit Joseph en tapant dans la main de Patrick. Toi aussi tu vas travailler pour Vince hein?

  • Ouais, ça c'est sûr ! Dès que je vais pouvoir lâcher les cours moi aussi.

  • Si t’as de la chance, ils ne pourront pas rouvrir à l’automne prochain non plus.

  • Votre école est fermée?

  • Ouais, y a eu comme un petit incendie… répondit-il en riant.


Ils marchèrent un moment en direction opposée de chez elle, puis ils prirent à gauche jusqu’au secteur moi résidentiel du quartier. Ils se rendirent jusqu’à un grand bloc appartement dont ils en firent le tour pour descendre par la rampe. Marie connaissait bien cette route, cet édifice et ce parking souterrain, ils y allaient souvent l’été dernier lorsque les parents de Patrick n’étaient pas au travail. C’était l’endroit que Joseph avait trouvé pour « s’amuser » avec Marie.


Joseph choisit un coin en retrait, loin des escaliers, loin des accès et du possible va et vient des locataires. Il fit signe à Patrick qui sortit une couverture à carreaux noire et rouge et la plaça sur le sol de béton. Puis il s’installa pour faire le guet. Pendant ce temps, Joseph avait plaqué Marie contre le mur de ciment et, planté devant elle de tout son corps, ne laissant que quelques millimètres entre eux deux, il lui dit.


  • Alors comme ça tu n'aimes plus notre petit jeu? Tu veux faire ça comme les grands? C’est vrai que c’est pas mal écœurant de me faire venir dans ma propre pisse. En plus, t’es rendue grande asteure… j'espère que t’es prête, ajouta t’il en défaisant sa ceinture.


Marie était terrifiée,elle ne savait pas ce qu’elle devait répondre. En fait, elle ne savait pas laquelle de ses options était la moins pire alors elle resta là, figée devant lui.


Devant le visage blême de Marie, Joseph lui offrit une porte de sortie.


  • À moins que tu ne préfères utiliser ta bouche?


Il l’a regardait en souriant, les yeux luisant d’excitation.


Marie se souvenait de la cabane, de la chaleur, de l’odeur du bran de scie et de la peinture…du goût dans sa bouche. Elle eut un haut le cœur qu’elle tenta de camoufler en tournant la tête.


Joseph la saisit par le menton..


  • Réponds bitch ! Puis regarde moi dans les yeux quand je te parle!


Marie le regarda, les yeux pleins d’eau, luisant de haine et de peur. Elle aurait voulu lui griffer le visage, lui arracher les yeux, mais, sa seule réponse fut de commencer à retirer ses vêtements puis de se coucher sur les carreaux noirs et rouges qui sentaient la vieille urine.


Lorsque Joseph eut terminé sa sale besogne, il fit signe à Patrick pour lui dire que c’était à son tour. Mais, comme il y avait de plus en plus de mouvement dans le stationnement, il se ravisa et décida qu’il était plutôt l’heure de partir.

Marie avait du mal à se relever tant elle avait mal, un mal autant physique que psychologique. Elle n’avait pas crié, ni même gémit, non, elle ne voulait pas lui donner ce plaisir. Elle avait serré les dents. Elle les avait serré si fort que sa mâchoire aussi lui faisait mal. Elle tendit ses bras tremblant vers ses vêtements qui traînaient dans la poussière du stationnement. Elle les prenait un à un, avec des gestes lents et imprécis. Chaque mouvement lui demandant un effort surhumain.


Avec un geste d’impatience, Joseph poussa le reste de ses affaires plus près d’elle à l’aide de son pied. Puis, comme s’il était dégoûté de la regarder ainsi, il lui dit:


  • Bon, de toute manière tu connais le chemin alors nous on s'en va. Enlève toi du plaid que je le ramène.

  • Mais on ne va pas… commença à dire Patrick.

  • Quoi? Tu veux quoi Pat? Il est tard et elle a eu son compte. On part. That’s it!


Patrick jeta un regard désolé à Marie, qui tentait de se revêtir. Il hésitait à la laisser là mais, en même temps, il avait du mal à la voir dans cet état. Il savait que ce qui venait de se passer était tout autant de sa faute que de celle de Joseph. Mais avant d’obéir à l’ordre qu’il avait reçu, il essaya de l’aider à enfiler son chandail avec lequel elle se débattait. Marie eut un mouvement de recul, elle ne voulait plus être touchée. Elle le regarda méfiante et agressive, comme un animal blessé.


  • C’est ça, débrouille toi toute seule criss de conne. Dit-il en lui donnant une claque en arrière de la tête avant de partir rejoindre Joseph qui s’était déjà éloigné.


Au bout de quelques minutes qui lui semblèrent une éternité, elle finit par se revêtir complètement puis, vidée, elle resta immobile. À demi assise, à demi à genou, appuyée contre le mur dans un coin retiré de ce lugubre stationnement elle fixait une tache d’huile au sol sans pourtant la voir. Elle essayait de se ressaisir, de reprendre ses esprits mais elle se sentait si loin, trop loin de ce lieu et de ce moment. Comme si son esprit ne voulait pas réintégrer son corps, du moins, pas tout de suite. Et puis doucement, elle se mit à pleurer. Sans aucun sanglots des larmes coulaient le long de ses joues, des larmes silencieuses qu’elle ne pouvait plus contenir.


Quand elle sortit du parking souterrain, elle cligna des yeux sous le soleil. Elle se mit à marcher, complètement désorientée. Elle ne savait ni l’heure, ni le jour, ni où elle allait. Ces jambes flageolantes avaient peine à la soutenir et c’est en titubant presque qu’elle se déplaçait.


Elle dicernat l’ombre d’une jeune femme qui sortait d’une petite fruiterie.


  • Excusez-moi Madame, pouvez-vous me donner l’heure s’il-vous-plaît. demanda-t-elle, la bouche pâteuse et asséchée.

  • Marie? Mais qu’est-ce que tu fais ici?


Marie regarda l’étrangère devant elle et plissa les yeux comme pour mieux la voir. Il lui fallut un bon moment avant de reconnaître Marie-Claude.



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