Marie-Claude
Marie-Claude la regardait tout sourire, ses sacs dans les mains. Elle semblait heureuse de la voir. Marie, perdue, la regardait sans y croire.
Heu, je ne… J’étais… Je n’habite pas si loin, répondit-elle encore engourdie.
Mon dieu! Mais qu’est-ce qui t’es arrivée dis-moi?
Rien, je…
As-tu pris quelque chose? De la drogue, de l'alcool? demanda-t-elle d’un ton inquiet.
Marie-Claude déposa ses courses sur le trottoir et la prit par les épaules. Elle la scruta de haut en bas, cherchant des signes de blessures ou un indice quelconque qui expliquerait son état. Elle la bombarda de questions mais Marie ne répondit pas.
Viens avec moi. Finit-elle par dire sur le ton de l’urgence.
Après une dizaine de minutes de marche pendant lesquelles Marie-Claude continuait de la presser de questions qui restaient toujours sans réponse, elles arrivèrent chez elle.
Je suis au deuxième, passe devant.
Marie fixa l’escalier comme s’il s’agissait du mont Everest mais, sans un mot, elle s’agrippa à la rampe et gravit les marches, une à une.
Marie-Claude hocha la tête en la voyant peiner à gravir les escaliers, mais, resta silencieuse. Arrivée en haut elle ouvrit la porte et passa devant, invitant Marie à la suivre.
En entrant, Marie resta immobile devant le décor. À sa droite, il y avait un grand salon double dont les murs tapissés d’étagères étaient remplis de partitions et de cahiers de musique. D’un côté de la pièce, il y avait un piano droit et quelques lutrins et de l’autre, un bureau, lui aussi rempli de partitions, de photos de la chorale et, dans le garde-robe laissé ouvert, des uniformes de concert et des cartons sur lesquels étaient inscrits ; Requiem de Mozart, Messie de Haendel, etc.
C’est par ici, dit Marie-Claude en la prenant par la main.
Marie la suivit.
Assieds-toi là.
La pièce centrale de l’appartement qui, à l’origine devait être la salle à dîner, tenait lieu de salon. Deux fauteuils en velours bleu faisaient face à un grand canapé brun recouvert d’une jetée en laine bleue et crème. Marie choisit de s’installer sur le canapé qui, avec sa panoplie de cousins, lui sembla plus moelleux. Malgré cela, elle ne put retenir un léger gémissement lorsqu’elle s’assit.
Maintenant, raconte-moi ce qui s’est passé! Dit Marie-Claude d’un ton directif.
Marie la regarda, les yeux perlants de larmes. Ses lèvres tremblaient sans pouvoir prononcer un traître mot.
Je suis inquiète Marie, s'il-te-plaît dis-moi ce qui s’est passé. supplia-t-elle plus doucement.
Marie hocha la tête de gauche à droite et la baissa pour ne pas montrer les larmes qui se remettaient à couler.
Si tu ne peux pas me dire qu’est-ce qu’il y a, dis-moi ce que je peux faire pour t’aider.
J’ai soif, fini par murmurer Marie.
Elle avait soif, soif d’eau pour calmer la sécheresse de sa bouche, soif de larmes pour apaiser les plaies de son âme et soif de douceur pour panser ses blessures.
Marie-Claude alla chercher de l’eau à la cuisine et lorsqu’elle revint au salon, elle trouva Marie recroquevillée sur elle-même sur le canapé, la tête entre les mains. Tout son corps était mu par des sanglots muets. Sa douleur s’exprimait dans un séisme intérieur d’une telle amplitude que tout son corps tremblait. Marie-Claude, bouleversée, vint s'asseoir à côté d’elle et posa sa main sur son dos en silence. Marie n’était pas seule, elle était là, avec elle.
Les pleurs se calmèrent presque aussitôt même s’il fallut un peu plus de temps à son corps pour retrouver son état normal.
Tiens, bois un peu, lui dit Marie-Claude en lui caressant les cheveux.
Marie se rassit et bu le verre d’eau d’une seule traite.
Le liquide froid la ramena tout à coup au présent et, prise de panique, elle s’énerva.
Quelle heure est-il?
Il est presque 17h45.
Merde! Je dois rentrer! S’écria Marie.
Attends, es-tu certaine d’être en état de rentrer chez toi.
Non, mais je dois y aller!
Ta mère t’attend c’est ça?
Pas encore, mais elle sera à la maison vers 18h00. Je suis déjà en retard. Elle n’aime pas que je ne sois pas là à son arrivée.
Bon, ça nous donne peu de temps pour réfléchir alors.
Réfléchir à quoi? Demanda Marie.
À une solution voyons! Tu ne peux pas rentrer dans cet état! Il faut te nettoyer. Désolée de te le dire mais tu pues et tes vêtements sont poussiéreux. Il faut trouver une solution pour que tu reste ici le temps de remédier à tout ça. Tu n’es pas d'accord?
Marie s’examina. Il y avait des taches sur son pantalon et son chandail avait des résidus variés et de sources indéterminées. Vu l’heure, elle n’aurait pas le temps de se changer avant que sa mère ne la voit.
Oui, mais…
Tu pourrais être chez une amie?
Non, pas un soir de semaine.
Ah oui… zut. Une réunion à l’école alors?
Non, je ne suis dans aucun comité… oh! Une réunion pour le spectacle de fin d’année peut-être?
C’est une bonne idée ça.
Marie n’en était pas si sûre. L’idée de mentir à sa mère la terrifiait, ceci dit, l’idée d’avoir à expliquer tout le reste était encore pire.
Mais ton chum, qu’est-ce qu’il va dire? Demanda Marie encore incertaine.
Il est à l’extérieur et ne rentre que demain. On a donc toute la soirée devant nous. Mais ne t’inquiète pas, je te reconduirai pas trop tard, quand tu iras mieux et que tes vêtements seront propres, ajouta-t-elle devant son air timoré.
D’accord, finit elle par dire après un moment de réflexion.
Elle attendit impatiemment que18h00 arrive avant de décrocher le téléphone. Les doigts tremblants, elle composa son numéro, après quelques coups de sonnerie, elle fut soulagée d’entendre la voix de sa sœur.
Allo?
Salut Rachel, est-ce que maman est arrivée?
Mais où es-ce que tu es? Oui elle est là et elle n’est pas de bonne humeur!
Je suis… Je suis à l’école pour la pratique du spectacle de fin d’année.
Mais il n’y a pas de… Ah oui, oui. Je vois. La pratique bien sûr, Veux-tu que je le message à maman?
Oui, s’il te plaît?
Rachel éloigna le combiné du téléphone de son visage et cria.
Maman!? C’est Marie au téléphone. Elle a oublié de te dire, mais elle avait une répétition pour le spectacle de l’école. Elle est là-bas.
Espèce de sans génie! dit Diane en sortant de la cuisine, et elle compte rentrer à quelle heure avec cette niaiserie?
Bien, tu sais maman, c’est difficile à dire dans ce genre de chose. Ça dépend si ça se passe bien…
Il ne faut pas qu’elle rentre tard hein !! C'est un soir de semaine et elle doit se lever tôt. Et qu’est-ce qu’elle va manger? Moi je ne refais pas de repas hein!
Rachel reprit le combiné.
Maman demande ce que tu mangeras.
Oui, j’avais entendu. Dis-lui que Anne partagera sa boîte à lunch avec moi, sa mère lui fait toujours des portions gigantesques.
Rachel répéta le message à sa mère.
Chanter, chanter! Elle n’a que ça en tête. Tout le reste n’a pas d’importance; ses notes, ses devoirs, ses tâches et même sa mère. C’est trop demander ça? d’avertir sa mère? grommela Diane en retournant à ses chaudrons.
Rachel s’assura que sa mère était bien hors de vue avant de reprendre la conversation avec sa sœur.
Là, tu m’en dois une petite sœur.
Oui je sais. Merci beaucoup Rachel. Tu me sauve la vie.
Mais t'es où? chuchota-t-elle curieuse et espérant avoir des détails croustillants.
Chez une amie qui en avait besoin… improvisa Marie.
Ah, répondit-elle un peu déçue. Ne rentre pas trop tard d’accord? La supercherie ne tiendra pas sinon.
Ne t'inquiète pas, je serai là avant 21h00. Merci encore.
Marie raccrocha le combiné, le cœur soudainement léger. Elle était soulagée que sa sœur ait pris la relève pour parler à sa mère. Marie était certaine que sa voix tremblante de trouille n’aurait pas été très convaincante.
Marie-Claude lui fit couler un bain et lui prêta des vêtements en attendant que les siens passent au lavage, ensuite, elle lui prépara une tisane avant de sortir acheter une pizza au coin de la rue. Par politesse, Marie n’osa pas jeter le liquide chaud qu’elle trouvait imbuvable et vida sa tasse en grimaçant.
Elles mangèrent au salon en silence sur une musique que Marie ne connaissait pas.
C’est du Vivaldi, dit Marie-Claude voyant son invitée tendre l’oreille.
C’est joli, dit Marie en souriant.
Cet intermède inattendu lui faisait du bien. Elle se sentait dans une bulle intemporelle ou le passé. n'existait pas, pas plus que l’avenir d’ailleurs.
Tu ne veux toujours pas en parler? demanda Marie-Claude une fois que la pizza fût terminée.
Non, et puis de toute façon, ce n’est pas important.
Mais oui, c’est important voyons!
Ne t'inquiète pas, j’ai tendance à faire des drames avec des riens. Une petite bagarre entre amis…
Marie-Claude la regardait incrédule, les sourcils froncés.
Et ça t’arrive souvent de te battre comme ça avec tes amis?
Non. Pas comme ça, en fait, c’était la première fois. Heureusement, ajouta-t-elle pour elle-même.
Marie-Claude ne croyait pas vraiment à cette histoire de bagarre.
Ce n’est pas grave si tu ne veux pas m’en parler Marie. Mais, je crois que tu devrais en parler à quelqu’un.
Ça va aller.
Marie-Claude la dévisageait sans rien dire.
Ok, finit-elle par concéder en soupirant. Je l’espère en tout cas.
Après avoir débarrassé la table basse du salon, Marie-Claude eut une idée.
Ça te dirait une petite pratique de chant pendant que tes vêtements sèchent?
Oh! Heu, oui, pourquoi pas, répondit-elle hésitante.
Ne me dis pas que tu es timide? Pas avec moi?
Mais oui, un peu.
Je t’ai déjà entendu chanter des milliers de fois, aller!
Marie suivit donc son hôte jusque dans la pièce de musique et elle s'installa à côté du piano, tel qu’elle le lui avait indiqué et, pour l’aider à briser la glace, Marie-Claude fit les vocalises avec elle. Puis elle la laissa aller. Marie se mit a;ors à chanter avec tout son coeur le Lacrymosa de Mozart.
Marie rentra chez elle vers 21h00, tel que prévu. Lorsqu’elle ouvrit la porte, sa mère leva à peine la tête de son cahier d’écriture, assise dans son fauteuil habituel au salon. Sans prononcer une seule parole.
Bonjour maman, je vais me coucher, je suis fatiguée.
J’espère que c’était bien au moins? Demanda sèchement sa mère en levant les yeux vers elle.
Quoi ça?
Ta répétition… C’est quoi l’idée de faire ça un soir de semaine?
L’école n’est pas ouverte la fin de semaine maman…
Ah oui… J’espère qu’il n’y en aura pas des tonnes alors et, surtout, n’oublies pas de m’avertir avant si jamais.
Oui maman, répondit Marie en baissant la tête.
Vas au lit, il est tard.
Bonne nuit.
C’est ça, bonne nuit.
Ce soir-là, Marie s’endormit rapidement, pleine de gratitude et bercée par la certitude que la vie n’était pas faite que de souffrance et de cruauté mais, aussi, de bienveillance. Elle ne pensait plus à Joseph ni à Patrick, les seuls souvenirs qui subsistaient de cette journée étaient la gentillesse de Marie-Claude, la pizza, la musique et même le liquide brunâtre au goût désagréable qu’elle avait bu et qui lui avait fait si chaud en dedans…
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