La Sainte-Vierge
Elle paraissait beaucoup plus jeune que son âge, ce qui est bien quand on est adulte mais, à 9 ans, on veut être grande et être prise au sérieux, et, pour elle, ce n’était pas gagné. De petite taille tant en grandeur qu’en gabarit, des cheveux courts à la garçonne et de grands yeux noisette, c’est à peine si on lui donnait l’âge de raison. Et pourtant, en dedans elle était plus vieille, plus mature que les filles de son âge. Son raisonnement ainsi que ses questionnements en avaient saisi plus d’un. À l’école primaire, en deuxième année, à l’âge de 7 ans, elle avait raconté une blague au directeur de son école :
Monsieur, savez-vous pourquoi les paquebots coulent toujours?
Mais non mon enfant, pourquoi donc?
Mais parce qu’ils sont transatlantiques!
Et le directeur se mit à rire.
Pourquoi riez-vous? demanda Marie. Ce n’est pas drôle, c’est une blague pour les gens stupides qui rient pour rien.
C’était une enfant un peu espiègle et, à l’heure du dîner ce jour-là, la mère de Marie reçut un appel de Monsieur le directeur.
Il faudra faire attention à votre fille madame, c’était à la limite de l’insolence.
L’année suivante, Sœur Gisèle, sa professeure, avait demandé à chaque élève de dire au reste de la classe ce qu’ils souhaitaient devenir une fois grands. Arrivée à son tour, Marie, du haut de ses trois pommes affirma sans même l’ombre d’une hésitation : Moi ! Je veux être la Sainte-Vierge! La nonne avala sa salive presqu’en s’étouffant et, reprenant son aplomb lui demanda : Tu veux dire que tu veux être une religieuse comme moi?
Pas du tout, répondit-elle, moi, je veux être la maman de tous les enfants du monde”
Marie était une enfant un peu spéciale et, à la fin des classes, ce jour-là, Sœur Gisèle, inquiétée par la réponse qu’elle avait eue, appela la mère de l’enfant.
Il faudra faire attention à la petite madame, elle a de drôles d’idées. Oh, et j’en profite aussi pour vous dire que je trouve qu’elle ne fait pas beaucoup d'efforts en classe comme à la maison, d’ailleurs. Marie est certes intelligente comme un singe, mais, elle aussi paresseuse qu’un âne.
Marie avait soif, soif de savoir et soif de grandeur. Mais pour le moment, Marie n’était qu’une petite fille étrange qu’on regardait avec étonnement et circonspection. Et dans la cuisine, assise sur une chaise, sa mère la sermonnait ;
Voyons Marie! C’est la troisième fois que les policiers te ramènent à la maison trempée jusqu’aux os! Je n’ai rien dit les deux premières fois, il faisait chaud et je pouvais comprendre que tu aies envie de te baigner dans le bassin du parc, et ce, même si c’est interdit. Mais là ! Vraiment? On est en octobre et on gèle! Décidément, je ne te comprends pas, je ne sais plus quoi faire de toi…
Marie ne pouvait pas dire à sa mère pourquoi elle s’était jetée dans l’eau glacée du parc. Sa mère n’aurait pas compris. Alors plutôt que d'écouter ce flot de réprimandes, elle se concentra sur les effluves émanant du sac sur le comptoir qui venait du restaurant chinois, elle essayait d’en reconnaître l’odeur. Plus elle se concentrait sur le parfum des mets chinois, plus les mots s'amenuisaient jusqu’à ce que, finalement, il ne reste plus qu’un léger grondement.
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