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Photo du rédacteurMarie-Josée Riendeau

Marie XXV

Dernière mise à jour : 11 mai

Marguerite





Le téléphone se fit entendre de nouveau mais Christine n’eût pas à y répondre, elle se contenta de le regarder.


  • C’est bon, tu peux y aller Marie, elle t’attend. 


Marie se leva fébrilement, ses jambes semblaient ne pas vouloir la soutenir. En fait, tout son corps ne voulait pas bouger. Mais elle n'avait pas le choix. Elle avança donc jusqu’à la porte donnant vers le corridor puis, elle s’arrêta, encore hésitante.


  • C’est la première porte vers ta droite, lui dit Christine.

  • Ah d’accord, merci, dit Marie, la voix étouffée et tremblante. 


Elle se planta devant la porte. Devait-elle frapper? Devait-elle entrer? Sa main dans les airs, ne sachant trop quel geste poser, elle ne bougeait plus. Elle regarda le nom sur la petite plaque argentée. Marguerite Lafleur, Travailleuse sociale.


  • Mais quels parents ont osé faire une chose pareille? se demanda Marie, Non mais, vraiment? 


Tout-à-coup, la porte s’ouvrit et Marguerite apparut en contre-jour. Avec sa grande taille élancée et sa tête abondement bouclée, Marie eut l’impression de voir une fleur géante se pencher vers elle.


  • Ah, tu es là! Ne reste pas plantée comme ça, entre! 


Elle se retourna et se dirigea vers son bureau, pris place sur sa chaise, et puis, voyant Marie toujours sur le pas de la porte, lui lança.


  • Mais qu’est-ce que tu fais? Tu veux prendre racine? Allez, viens t'asseoir, je ne suis pas une plante carnivore. Ajouta- t-elle, le sourire moqueur. 


Marie avança de quelques pas puis hésita.


  • Est-ce que je ferme la porte?

  • Bien sûr! À moins que tu ne veuilles que tout le monde nous entende. 


Elle ferma donc la porte doucement et vint s’installer sur l’énorme fauteuil en cuir brun en face du bureau. Elle s'assit d’abord tout au fond, le dos appuyé contre le dossier, mais l’assise était si profonde que Marie ne pouvait plus plier les genoux. Marie, les pieds dans le vide, se sentait soudainement affreusement minuscule, on se serait cru dans une scène d’Alice au pays des merveilles.


  • Hm, oui, bon. Je suis désolée, je viens tout juste d’emménager dans ce bureau et le mobilier venait avec. Je te promets que ce sera mieux la prochaine fois.

  • Ça va aller, finit par dire Marie en s’asseyant au bout du fauteuil pour que ses pieds touchent le sol.

  • Attends. 


Marguerite se leva et fit le tour de son bureau. Elle le poussa le long du mur et poussa son fauteuil près de la fenêtre.


  • Lève-toi! lui ordonna-t-elle. 


Une fois libre, le siège de Marie rejoignit l’autre et Marguerite ouvrit un grand tiroir de son armoire pour y sortir deux coussins qu’elle jeta par terre.


  • Voilà! Ça c’est beaucoup mieux, dit-elle en s'asseyant les jambes croisées sur l’un d’eux. 


Elle fit signe à Marie de faire comme elle.


  • On recommence. Tu veux? Moi, c’est Marguerite, Marguerite Lafleur. Oui, je sais, c’est pas génial, mais ce n’est pas que mes parents n’avaient pas d’imagination! C’est qu’ils tenaient vraiment à ce que je porte ce prénom. Alors, tant pis pour le nom de famille. Toi, c’est Marie, c’est ça?

  • Oui…

  • Eugène m’a dit que tu étais en deuxième du secondaire, c’est bien ça?

  • Oui…

  • Pourquoi crois-tu qu’il voulait qu’on se rencontre toi et moi?

 

Marie haussa les épaules et détourna son regard vers la fenêtre.


  • Je vois… Dit Marguerite en soupirant légèrement. Après quelques minutes, elle ajouta ; il est inquiet pour toi. Est-ce que tu peux me dire pourquoi? 


Elle fit non de la tête. Sa gorge était nouée, étranglée par un chagrin qu’elle tentait de repousser et elle regardait toujours la fenêtre pour que son interlocutrice ne voit pas les larmes qui perlaient dans ses yeux.


  • On va parler d’autre chose alors. Parle-moi de ce que tu aimes. 


Elle ne pouvait toujours pas parler. Une larme s’échappa sur sa joue.


  • Tu sais que tu peux pleurer ici hein? Ici, tout est permit. 

  • Je ne veux pas pleurer, parvint à dire Marie en se croisant les bras.

  • C’est déjà ça. Mais je veux que tu saches que tu en as le droit. En plus, tu n’es même pas obligé de me dire pourquoi. 


Sur ces mots, Marie se mit à pleurer. Assise avec les bras sur ses genoux et sa tête baissée sur ses jambes, elle laissa couler les larmes qu’elle n’avait plus la force de retenir. Marguerite, de son côté, n’osait plus parler ni intervenir tant la souffrance de cette petite fille semblait lourde et profonde. Elle n’osa pas, non plus, la consoler ni même la toucher car elle craignait de la sortir de ce cocon où elle semblait s’être réfugier et où, pour la première fois peut-être, elle se donnait le droit de ressentir sa douleur. 


  • Marie… Dit tout doucement Marguerite. Il est midi. 


Elle ouvrit lentement les yeux. Elle était étendue sur le tapis bleu gris du bureau de Marguerite, recouverte d’un blouson. Elle se releva d’un coup, un peu déboussolée.


  • Tu as beaucoup pleuré et puis tu as fini par t’endormir. Je t’aurais bien laissée dormir encore mais je ne savais pas si tu étais attendue pour le dîner. Je n’aurais pas voulu que ta mère…

  • Ma mère n’est pas là avant 18h00.

  • Ah, d’accord. Comment te sens-tu?

  • J’ai l’impression qu’un train m'est passée dessus.

  • Oui, je comprends ça… Tu vas aller à la cafétéria pour manger?

  • Non, je vais à la maison.

  • Ah? Ton père est là alors?

  • Non, mes parents sont séparés.

  • Tu seras seule à la maison?

  • Non, ma sœur devrait être là aussi.

  • Oh! Est-ce que ta sœur est plus vieille que toi? 

  • Rachel, oui, elle a 15 ans.

  • Vous n’êtes que deux?

  • Non, j'ai un frère aussi, mais il ne vit plus à la maison.

  • Et ça fait longtemps que tes parents sont séparés?

  • Non, pas tellement…

  • Et tu vois ton père parfois?

  • Il vient de temps à autres à la maison

  • Bon et bien je n’aurai pas tout perdu, j’en sais un peu plus sur toi maintenant.

Marie fit une moue entendue, elle avait bien compris ce que la travailleuse sociale faisait.


  • Je crois que l’on devrait se revoir, tu veux bien?

  • Je ne suis pas certaine que j’aie vraiment le choix en fait.

  • Je ne le crois pas non plus, pas pour tout de suite en tout cas. 


Marie ne répondit rien et se prépara à partir.


  • Christine est sortie pour le dîner. Peux-tu revenir cet après-midi pour prendre ton rendez-vous? D’ici là j’aurai eu ton horaire de cours et tu pourras discuter de tout ça avec elle.

  • Oui, d’accord.


Elle attendit la fin du branle-bas de combat de la fin des classes avant de retourner au bureau de Christine. Elle ne voulait pas être vu allant dans cette aile cachée, presque secrète, de l’école. Elle passa les portes anti-feu et emprunta les corridors sombres jusqu’à la pièce lumineuse et la trouva debout, en train d’arroser les multiples plantes qui ornaient les murs de son bureau. Elle avait les cheveux noirs et blanc. Ils étaient longs, très longs. Marie n’avait jamais rien vu de tel. Ils descendaient presque jusqu’à ses genoux.


  • Bonjour? Dit Marie d’une tout petite voix pour ne pas la surprendre. 

  • Ah salut Marie! Ton après-midi s’est bien passé?

  • Oui oui, merci. La vôtre?

  • Laisse faire le vous! Je n’ai que 24 ans. Je sais que ça ne paraît pas trop avec tous mes cheveux blancs mais je les avais déjà à 18 ans.  


Elle continuait à s’occuper de ses plantes tout en parlant.


  • Excuse-moi, normalement je fais ça plus tard, avant de partir, mais je dois quitter plus tôt aujourd’hui. Mon bébé a un rendez-vous chez le vétérinaire. Mais tu peux t’asseoir en attendant, j’ai presque fini.

  • Vous aimez beaucoup les plantes. 

  • Tu… tu aimes beaucoup les plantes, corrigea Christine en souriant. Oui et j’ai la chance d’avoir une fenêtre en plein soleil, alors j’en profite. Toi, tu les aimes?

  • Je ne sais pas, nous n’en avons pas vraiment à la maison. C’est plutôt sombre chez moi.

  • Bon, ça y est, j’ai terminé, continua Christine sans se soucier de la réponse. Regardons ça. Tu es chanceuse, Marguerite vient de commencer ici alors son agenda n’est pas encore trop chargé, tu as donc le choix. Tu préfères le matin ou l’après-midi?

  • Heu..

  • Question difficile? La taquina-t-elle.

  • En fait ça m’est égal. Répondit Marie un peu gênée.

  • Bon… je te propose mardi en dernière période, ça te va? Comme ça, si jamais ça se termine avant, tu pourras rentrer chez toi plus vite. Ça te va comme ça?

  • Oui oui… Dit-elle nonchalamment.

  • Parfait alors on fait comme ça et si jamais ça ne va pas tu n’auras qu’çà me le dire et on verra si on peut changer ça.

  • Merci.

  • Mais pour cette semaine, Marguerite aimerait te revoir une deuxième fois.

  • Ah?

  • Jeudi matin, première période, ça te convient? 

  • D’accord. Accepta-t-elle à contrecœur.


Elle reprit les corridors vers les portes et se rendit jusqu’à sa case où Anne l’attendait.


  • Mais d’où viens-tu comme ça?

  • Mais de… de mon cours !? Pourquoi?

  • Il est presque 16h00?

  • Ah oui, c’est que j’avais besoin d’explications sur ce que l’on a vu en classe.

 

Anne mit la main sur le front de son amie.


  • Hmm… pourtant tu ne fais pas de fièvre?

  • Mais qu’est-ce que tu fais? Dis Marie en riant.

  • Je pense que tu ne vas pas bien ma chère. Ça ne te ressemble pas trop de rester après les heures de classe pour parler à ton prof.

  • Je sais bien, répondit Marie, gênée par son mensonge. Mais là c’est différent, j’ai presque la note de passage en histoire et si je réussis l’examen du ministère je n’aurai pas à le reprendre.

  • En histoire ?! Mais qu’est-ce que tu te faisais expliquer en histoire ?? Ce n’est que du par cœur! Des dates, des lieux.

  • Mais pas du tout! Les événements ont des causes et des répercussions importantes et de les connaître et de les comprendre m’aide à les retenir.

  • Ah? Je n’avais pas vu les choses de cette manière, dit-elle sincère, puis elle ajouta l’air moqueuse, c’est fou comme on peut apprendre, même de quelqu’un plus petit que soi!

  • Arrête ça! On a presque le même âge! C’est juste parce que tu as sauté une année au primaire que tu es en avance.

  • Je le disais dans le sens que je suis plus intelligente que toi, justement! 


Elles éclatèrent de rire et Marie, le temps de quelques minutes se sentit légère et joyeuse.


  • Dis, ça te tente une crème glacée? La crémerie sur la grande rue est ouverte, c’est moi qui te l’offre.

  • Je ne sais pas si je peux. Il est quelle heure?

  • Il est 16h10

  • Oui c’est bon, j’ai encore le temps. Répondit Marie qui ne voulait pas mettre fin à ce moment de légèreté et de joie.


Elles marchèrent en continuant de se taquiner et de rigoler. Le printemps était beau en ce jour de mai et Marie ne pensa plus à l’école ou à ses rencontres secrètes avec la travailleuse sociale.


Anne choisit un banana split et Marie opta pour un cornet pistache chocolat et elles allèrent s’asseoir sur un banc. Les ricanements et les boutades cessèrent pour laisser place à la dégustation de leurs crème glacée.

Au bout d’un moment, Anne déposa sa petite barque en carton à moitié pleine.


  • Bon Marie, il faut que je te parle.

  • Oh! Vous avez l’air bien sérieuse ma chère, dit Marie entre deux lichettes, pensant que son amie se moquait encore.

  • Oui je le suis. 


Marie cessa de manger son cornet et fixa Anne d’un regard méfiant.


  • Ne sois pas inquiète, je me fais du souci pour toi c’est tout.

  • Pourquoi ça?

  • Tu pars sans rien dire, tu me cache des choses.

  • Mais pas du…

  • Arrête Marie! Je ne suis pas une cruche! Ça fait 5 ans qu’on se connaît, oui bon ok, 4 que nous sommes amies. Je le vois bien qu’il y a quelque chose. L’autre jour tu voulais me parler et au moment où tu allais me le dire, tu t’es enfui! Mais de toute façon ça fait des semaines, voire des mois, que tu es bizarre…


Marie ne disait rien, elle réfléchissait. Elle écoutait Anne et se dit qu'elle avait raison, qu’elle lui devait des explications. Anne était sa meilleure amie après tout et elle avait toujours été là pour elle. Seulement, elle ne pouvait pas tout lui raconter, surtout si elle voulait qu’elles restent amies.


Il faudrait lui confier au moins une chose, un seul élément perturbateur dans sa vie qui suffirait à expliquer son comportement. Ou, à tout le moins, à faire diversion du reste, de sorte qu’elle ne s’inquiète plus. 


  • Alors? Tu vas rester là sans rien dire?

  • Non, bien sûr que non! Tu as raison… je te dois quelques explications.


Marie se mit à lui raconter qu’elle avait surprise deux filles qui s’embrassaient dans les buissons. Elle n’avoua pas les sensations que cela avait provoqué chez elle ni les nuits de sommeil agité que cela provoqua. Elle tenta plutôt de concentrer son récit sur le fait qu’elle ignorait qu’une telle chose pouvait exister et que cela l’avait bouleversé.


Dans les faits cependant, elle savait bien que cela existait chez les hommes, il y en avait un dans sa famille dont on ne parlait qu’à mots couverts et dont on avait honte. D’ailleurs, son père semblait le détester et ne voulait pas le voir aux réunions de famille. 


  • Est-ce que ton cousin va être là ce soir? Avait-il demandé à Diane un certain jour de l’an. Dis bien à ta tante que je ne veux pas le voir rôder près de Sylvain, ni de mes files non plus ceci dit, on ne sait jamais.


Marie raconta tout, dans le moindre détail. Elle voulait, se faisant, faire oublier à Anne que ça n’expliquait en rien ses comportements des derniers mois. 

 

Elle arriva au bout de son récit, presque essoufflée.


  • Voilà, c’est ce que je voulais te raconter lundi dernier.

  • C’est tout? Demanda Anne. C’est ça qui te met dans cet état? Je te croyais plus moderne quand même! Ma tante est comme ça. Bon la famille n’aime pas trop et nous n’en parlons pas non plus. Aux réunions de famille elle vient toujours seule même si ça fait plus de vingt ans qu’elle est avec la même femme. Moi, sincèrement, je ne vois pas pourquoi c’est un problème. 

  • Mon père dit que c’est contre nature et ma mère, elle, dit que c’est péché, que c’est contre la religion et condamné par le Pape.

  • Mais toi? Qu’est-ce que tu en penses?

  • Je ne sais pas. Répondit Marie qui n’osait dire ce qu’elle ressentait vraiment.


Anne semblait contrariée par la réponse de son amie. Elle se leva et déclara qu’il était l’heure qu’elle rentre chez elle. Brusquement elle se leva et laissa Marie ainsi que son reste de banana split après l’avoir sèchement saluée.

Marie resta sur le banc, le temps de finir son cornet. Elle repassait les mots de son amie dans sa tête comme une cassette qu’elle écoutait en boucle. Non, ça ne pouvait pas être bien, ni même normal. Oui? Non? Elle ne savait plus. 


Une fois sa friandise terminée, Marie prit le chemin de la maison. Elle prenait son temps, se dirigeant machinalement sur une route qu’elle connaissait par cœur, perdue dans ses réflexions quand elle s'arrêta brusquement à une dizaine de mètres de chez elle.


Patrick sortait de la voiture de ses parents avec ses valises.

 

  



  








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