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Photo du rédacteurMarie-Josée Riendeau

Marie IX

Dernière mise à jour : 24 mars

Le chemin de fer


La moitié de l’été était passée sans que Marie ne s’en rende compte. Elle n’avait pas revu son bourreau depuis la fin de l’année scolaire et elle en était ravie. Cependant, elle savait bien que ce moment de paix tirait à sa fin puisque Diane lui avait dit que leurs propriétaires, donc les parents de Patrick, revenaient de voyage cette semaine-là, sans être certaine du jour exact.


Il faisait beau et Marie sortait de la piscine municipale où elle avait suivi son cours de natation. Elle choisissait toujours le premier cours du matin afin de pouvoir traîner dans l’eau toute la matinée. Il était donc passé 11:00 lorsqu’elle se retrouva sur le trottoir, les cheveux mouillés, le corps frais, les doigts ratatinés et les yeux rouges. Elle était en train de rouler sa serviette pour la mettre dans son sac lorsque Patrick s’approcha d’elle.

  • Je savais que je trouverais ici.

  • Qu’est-ce que tu me veux?

  • Ne sois pas désagréable. Tu peux me dire bonjour tu sais?

  • Je n’en ai aucune envie.

Marie le regardait avec un faux air de défi, camouflant mal son manque d’assurance.

  • Écoutes Marie, tu n’auras pas le choix de m’avoir dans tes pattes alors autant faire en sorte que ce soit un peu plaisant, ne trouves-tu pas?

  • Et si je ne veux pas?

  • Tu vas faire ce que je te dis de faire. Sinon j’irai dire à mes parents que c’est toi qui m’as traîné chez tu-sais-qui et que c’est de ta faute ce qui est arrivé. Tu verras, ils ne feront ni un ni deux, et ils vous mettront dehors. Déjà que vous ne payez pas toujours le loyer. Tes parents ne sont vraiment que des moins que rien…

Ne trouvant plus rien à dire de méchant il finit sa phrase dans un cafouillis incompréhensible. Puis il ajouta:

  • Suis-moi, j’ai besoin de toi.

Marie ravala sa colère et, sans dire un mot, emboîta le pas à côté de son maître chanteur.


Ils marchèrent pendant une quinzaine de minutes en empruntant les ruelles jusqu’à ce qu’ils débouchent sur une rue que Marie ne connaissait pas. Devant elle sur la rue d’en face se trouvait une usine, ce qui était vraiment surprenant dans ce quartier résidentiel plutôt aisé. Ceci dit, l’usine semblait assez vieille et désaffectée, cela devait faire bien longtemps qu’elle n’était plus en fonction. Ils en firent le tour et, à l’arrière, longeant le chemin de fer se trouvait une cour clôturée où des voitures étaient garées.

  • Tu vois ce stationnement? C’est celui des employés de l’édifice à bureau au coin là-bas.

Marie cherchait des yeux l’endroit que Patrick lui montrait.

  • Tu ne le vois pas hein?

  • Non…

  • Ben justement, si on ne le voit pas, eux non plus. Par contre, y a un garde qui passe de temps à autre alors j’ai besoin que tu fasses le guet.

  • Le guet pour quoi?

  • T’occupe! Regarde par là-bas et si quelqu’un vient, siffle!

  • Euh… je ne sais pas siffler.

  • Quelle andouille quand même, elle ne sait pas siffler. On ne t’a rien appris?

Patrick regarda autour de lui, comme s’il cherchait une solution. Marie le regarda et lui proposa;

  • Je pourrais lancer une roche sur la poubelle qui est là?

  • Es-tu capable de la viser au moins?

Pour toute réponse, elle se saisit d’une roche et la lança sur la poubelle en acier galvanisé qui fit résonner le son du caillou.

  • Bon c’est très bien mais pas trop fort hein?

Marie se plaça tel que Patrick le lui avait demandé et se mit à surveiller la rue tout en gardant une position qui lui permettait d’observer Patrick. Sans trop se retourner, elle regardait du coin de l’œil pour tenter de savoir ce qu’il manigançait. Elle le vit qui testait les poignées de porte des voitures. Il tentait d’en trouver une qui n’était pas verrouillée. Marie n’aimait pas du tout ça. Elle ne voulait être mêlée à un vol, ni de près, ni de loin.


Patrick réussit enfin à entrer dans une voiture et il se mit à la fouiller de fond en comble mais n’y trouva rien. Il recommença donc son manège. Au bout d’un moment il s’écria.

  • Ça y est! J’ai trouvé. Y a une conne qui a oublié son sac à main dans son auto.

Il tenta d’ouvrir la portière mais elle était barrée. Patrick qui commençait à s’impatienter de ne pas pouvoir accéder au butin, se mit à la recherche d’un objet qui lui permettrait de briser la vitre de la portière. Il trouva, sur le côté de l’immeuble en ruine, un morceau de brique.

  • Ça fera l’affaire! Dit-il tout haut

Marie se mit à paniquer. Non! Il n’allait pas faire ça!? Sans réfléchir, elle prit un caillou et lança sur la poubelle de toutes ses forces en criant:

  • Vite vite! Il s’en vient!

Patrick laissa tomber la brique au sol, prit ses jambes à son cou et partit en direction de la voie ferrée, Marie sur ses traces.


Ils coururent un petit moment et s’arrêtèrent essoufflés.

  • On l’a échappé belle! Dit Patrick à Marie. Mais quand même, j’aurais aimé mettre la main sur cette foutue sacoche. Je n’ai plus d’argent de poche. Mais je t’avais dit de ne pas faire trop de bruit avec cette roche! L’agent de sécurité t’a sûrement entendue.

Marie, qui reprenait son souffle, ne répondit rien. Elle était simplement soulagée qu’il n’ait pas vandalisé la voiture. Mais cette sensation fût de courte durée car des pas rapides se faisaient entendre derrière eux.

  • Hé vous deux! Arrêtez-vous tout de suite!

Ils se retournèrent lentement pour apercevoir deux policiers qui s’avançaient vers eux. La cœur de Marie sauta un battement.

  • Que faites-vous sur les rails du chemin de fer? Vous n’avez pas le droit d’être ici.

  • On ne fait que se promener monsieur l’agent.

  • Ouais et bien vous allez venir vous promener avec nous, jusqu’au poste.

Les policiers emmenèrent les deux jeunes au poste du quartier où on leur demanda de donner leurs noms et leurs numéros de téléphone. Plusieurs actes de vandalismes avaient été commis dernièrement et ils interpellaient tous les individus qui se trouvaient près des rails de train. Leurs parents furent bien sûr avisés de leur mésaventure.


C’est André qui reçut l’appel et il insista auprès de l’officier pour que Marie soit retenue au poste jusqu’à ce qu’il aille la chercher lui-même. Elle resta donc dans l’entrée du poste, assise sur un banc pendant ce qui lui sembla des heures. La mine basse et anxieuse de connaître sa sentence elle sentait comme un tremblement intérieur.


Son père arriva enfin et, sans même daigner la regarder, alla s’adresser au policier à l'accueil et, quelques instants plus tard, un autre officier vint le rejoindre et ils s’approchèrent de Marie. Avec un air très grave André lui annonça :

  • Monsieur l’agent vient de m’informer que, comme tu as commis un acte criminel, dorénavant tu auras un casier judiciaire.

C’était totalement faux, mais Marie, elle, l’ignorait.

Elle grimpa dans la voiture, assise à côté d’André qui restait muet, tout comme elle d’ailleurs. Marie se sentait aussi petite qu’une fourmi devant la froideur et la colère de son père. Le trajet vers la maison lui semblait prendre une éternité jusqu’à ce qu’il lui lance.

  • Ta mère t’attend avec une brique et un fanal. Elle est au courant bien sûr et je t'avertis, elle est vraiment furieuse.

Le chemin, tout à coup était devenu beaucoup trop court, elle aurait voulu rester dans la voiture pendant des heures plutôt que d’affronter le courroux de sa mère. Mais impitoyablement, l’auto s’arrêta devant leur adresse quelques minutes plus tard.


Pendant que Marie prenait tout son temps pour sortir de la voiture, sa mère sortit sur la galerie, les deux mains sur les hanches, rouge de colère. L’enfant marcha tranquillement vers elle, la tête baissée, s’attendant à tout moment à recevoir une violente claque, mais, il n’en fut rien.


Ils entrèrent à l’intérieur. Diane ordonna à Marie de s’asseoir sur le banc dans l’entrée. Ce qu’elle fit. Elle pouvait entendre ses parents dans la cuisine qui parlaient mais elle ne pouvait comprendre ce qu’ils se disaient. Les secondes s'égrainaient si lentement que Marie eut l'impression que ses fesses prenaient racine dans le bois dur de banc d’Église qui l’immense entrée de leur appartement.


Diane l’appela enfin. Marie se leva les jambes tremblantes et alla les rejoindre dans la cuisine. Elle craignait le pire. Sa mère la regardait avec son air grave des jours sombres et lui dit :

  • J’ai parlé à la mère de Patrick tantôt et, d’un commun accord, nous avons décidé de ne pas chercher à savoir lequel d'entre vous a eu la brillante idée d’aller sur les chemins de fer. D’une part c’est illégal mais aussi, c’est très dangereux. Donc nous avons décidé que vous n’aurez plus le droit de vous voir pour le reste de l’été. Patrick partira demain chez sa grand-mère. Quant à toi, j’ai demandé à notre voisine, Madame Johnson de te surveiller pendant que ton père et moi serons au travail.

Puis, avec un soupir de découragement, elle ajouta :

  • Maintenant, je ne veux plus rien savoir de toi pour aujourd’hui. Sors de ma vue et va dans ta chambre. Je verrai plus tard si je te permettrai de venir à table pour le souper.

Marie ne se le fit pas dire deux fois et partit d’un pas rapide, l’estomac vide. Son ventre gargouillait mais elle ne pouvait s’empêcher de sourire. Diane qui pensait avoir puni sa fille sévèrement ne se doutait pas que, dans les faits, elle venait de lui faire le plus beau cadeau.




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