La chorale
Quelques semaines plus tard, Marie eut dix ans. Selon elle, ce n’était pas un anniversaire anodin car à cet âge bien sûr, on atteint les deux chiffres et donc, plus rien dorénavant, ne pourrait être pareil. Elle était grande maintenant, elle était une ado alors elle allait être forte, confiante et oui, rebelle même. C’était d’ailleurs déjà bien parti puisqu'elle était maintenant une criminelle avec son casier juvénile!
C’est donc ainsi, dans cet état d’esprit qu’elle entreprit la nouvelle année scolaire. Mais, même si dans son esprit, les choses avaient changé ou à tout le moins, si elles avaient dû changer, en réalité il n’en était rien. Ses pairs continuaient de la considérer comme une bête étrange et presque sans intérêt. En fait, si par aventure ils s’adressaient à elle, règle générale, ce n’était que pour la railler ou l’insulter. Son audace et sa confiance, donc, volèrent en éclat en quelques heures à peine. Elle ravala sa fierté naissante et alla se réfugier dans un coin de la cour avec les autres laissés pour contre, les autres parias comme elle qui ne rentraient pas dans le moule.
De loin elle observait sa sœur qui était tout ce qu’elle n’était pas, grande, sportive, drôle, intelligente, jolie et aussi, évidemment, populaire. Marie ne l’enviait qu’à demi. Elle aurait sans doute aimé être plus grande et plus forte comme Rachel, pour mieux se défendre, mais plus jolie? Si c’était pour avoir plein de garçons qui tournent autour, non merci! Cependant il apparaissait comme une évidence pour elle que la vie de sa sœur était plus facile, plus douce et, en ça, elle aurait bien aimé lui ressembler. Mais elle ne voulait pas vraiment être dans le groupe des enfants « in », dans le groupe de l’élite où il faut toujours s’assurer d’être branchés et de faire comme les autres. Marie savait bien qu’elle ne pourrait jamais faire semblant d’être ce qu’elle n’était pas. En vérité, Marie admirait plus sa grande sœur qu’elle ne l’enviait.
Pour le reste, Marie se savait intelligente, peut-être pas autant que Rachel mais quand même un peu. Elle se reconnaissait aussi certains talents comme le dessin et la musique. D’ailleurs, si l’école était un terrain abandonné de valorisation, lorsqu’elle allait à la chorale, c’était autre chose. C’est pourquoi elle attendait les vendredis soir avec impatience. À chaque semaine, elle se dépêchait d’avaler son repas et ce, même si c’était du poisson, chose qu’elle détestait presque autant que le foie de veau. Elle se brossait les dents, mettait un chandail propre et marchait un kilomètre et demi pour atteindre l’église où avaient lieu les répétitions.
À 18h00, elle arrivait et dès qu’elle y était, Marie se sentait bien, heureuse même. Elle saluait d’un signe de tête les autres jeunes chanteurs et allait directement voir le directeur qui, en guise de bonjour, lui ébouriffait les cheveux avec un grand sourire qui faisait apparaître de multiples petites rides autour de ses yeux. Il regardait Marie avec tendresse et lui disait immanquablement.
Ça va le p’tit chat?
Oui! Lui répondait toujours Marie.
Et elle courait rejoindre Anne, Nathalie, Johanne et les autres. Elles jacassaient ensemble de leurs semaines respectives, de leurs professeurs, de leurs parents, de leurs cours de violon pour l’une et du ballet pour l’autre. Elles piaillaient bruyamment jusqu’à ce que Henriette les rappelle à l’ordre de quelques notes de piano et tous se regroupaient, garçons et filles, pour entamer les vocalises qui duraient une bonne quinzaine de minutes. Ensuite, c’était solfège, toujours avec Henriette. Et puis après, lecture de partition avec Guy, chant et puis c’était la pause.
Lorsque les enfants revenaient, les adultes les avaient rejoints et l’ensemble vocal était complet. La soixantaine de membres maintenant réunis chantaient pendant une heure trente et, à 21h00, les grandes personnes prenaient une pause et les petits chanteurs quittaient la répétition jusqu'à la semaine suivante.
Ce soir-là, Guy avait plusieurs bonnes nouvelles à annoncer avant que les enfants ne partent. Premièrement, ils allaient participer à une émission de télé en direct du complexe Desjardins en novembre, ensuite, en décembre, les petits chanteurs allaient chanter avec Michel Louvain au Beaux Dimanches à Radio Canada et, finalement, lors du dévoilement de la grande crèche de Montréal qui avait lieu à l’Église de l’Immaculé Conception, ils chanteraient tous ensemble devant une invitée de marque, Mme Ginette Reno, en personne.
Des murmures d’excitation se firent entendre, autant parmi les petits que parmi les grands.
Guy donna trois petits coups de baguette sur son lutrin pour demander le silence.
Les enfants! Avant de sortir, Marie-Claude a des formulaires d'autorisation à vous remettre. Vous avez jusqu’au mois prochain pour les faire signer par vos parents et nous les remettre. C’est très important si vous voulez participer à ces évènements. Allez! On se voit la semaine prochaine.
Guy salua les enfants qui passaient près de lui et quand Marie vint lui dire au revoir, il lui demanda de le suivre. Une fois dans le bureau, il lui dit.
Je te le dis juste à toi pour que tu te prépares et que tu m’amène ton formulaire rapidement. J’ai décidé que c’est à toi que je veux donner le solo de “Ça bergers” pour l’inauguration de la crèche. Est-ce que ça te tente?
Marie n’en croyait pas ses oreilles! Un solo? Elle?
Oui, oui!!! Bien sûr.
D’accord, super. J’ai besoin du formulaire rapidement ok?
Oui oui. Oh Merci Guy!
Non Marie, merci à toi d’accepter. Allez, vas rejoindre tes copines.
Marie n’en revenait pas, il lui avait demandé à ELLE… Pourvu que sa mère dise oui…
Comments