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Photo du rédacteurMarie-Josée Riendeau

Marie VI

Dernière mise à jour : 24 mars

La menace


Marie ouvrit les yeux et regarda son cadran. Elle avait bien dormi, ce qui n’arrivait pas souvent depuis un certain temps. Soit, elle n’arrivait pas à s’endormir, soit elle se réveillait trop tôt ou pire encore, elle se réveillait en pleine nuit et finissait par se rendormir 1 heure avant que le réveil ne sonne. Mais cette fois, elle avait dormi au moins 8 heures sans se réveiller. Marie décida de savourer cette victoire un peu plus longtemps en restant au lit à rêvasser avec un léger sourire au visage.


Tranquillement, sans qu’elle l’ait cherché, des images de la nuit remontèrent dans son esprit. Dans son rêve, quelqu’un la touchait, la caressait gentiment, quelqu’un l’embrassait. C’était doux, tendre. Ce souvenir éveillait en elle une drôle de sensation qu’elle n’aurait pu nommer ni même reconnaître. Ce n’était pas désagréable, c’était même plutôt le contraire, c’était comme un léger frisson qui la chatouillait partout sur son corps.

Elle essayait de se rappeler davantage mais les sons provenant de la cuisine la ramenèrent à l’ordre. Le bruit des portes d’armoire qui s’ouvrent et se referment, des assiettes qui s’entrechoquent, des cuillères qui heurtent la porcelaine des tasses, c’était clairement l’heure du déjeuner et il semblait bien que toute la famille fût debout, sauf elle. Marie n’avait pas particulièrement faim mais elle savait que sa mère viendrait bientôt la sortir du lit. Le samedi, c’était jour de corvée de ménage. Elle se leva donc et alla rejoindre la maisonnée.

En arrivant dans la cuisine, Marie senti un froid intense, un silence lourd de non-dit. Chacun mangeait la tête dans son assiette, n’osant croiser le regard de l’autre. Elle entreprit de faire son déjeuner, sans rien dire, imitant ses pairs, respectant le code de mutisme non écrit de ce matin-là.

En s’assoyant à table, Marie jeta un coup d’œil interrogatif à sa sœur qui lui répondis d’un regard exaspéré, d’un haussement d’épaules et d’un coup de tête vers son frère aîné. Marie comprenait par ces simagrées que Sylvain s’était, encore, fait engueuler par leur mère.

Dire que la relation entre Diane et son premier-né était difficile aurait été un euphémisme, Diane semblait nourrir une colère et un ressentiment inaltérable envers le pauvre Sylvain et ce, depuis sa naissance. Marie ne comptait plus les disputes dont elle avait été témoin tout comme les coups que son frère avait reçus.

Elle fixa son regard sur son bol et fit tourner sa cuillère dans ses céréales.

  • Marie!! Cesse de jouer avec ta nourriture. Mange, on a une grosse journée devant nous.

Quelques heures plus tard, Marie avait accompli les tâches qui lui avaient été attribuées et, alors qu’elle s’apprêtait à sortir, sa mère l’appela.

  • Voudrais-tu aller à la pharmacie et chez Steinberg pour moi? Je t’ai préparé une petite liste.

  • Ben c’est que j’allais rejoindre Nathalie pour...

  • VAS faire les commissions que je t’ai demandé!

  • Mais pourquoi tu me le demande si je ne peux pas dire non?

  • C’est pour te donner l’occasion d'être gentille en disant oui.

Marie soupira, prit l’argent et la liste et se mit en route. Il faisait beau, le printemps était bien installé à présent. Il ne restait plus que quelques semaines avant la fin des classes. Marie espérait bien que ses parents allaient encore louer un chalet avec leur groupe d’amis. C’était bien ces week-end de repos, repos de chicanes, repos de Patrick.

Elle entra dans l'épicerie et parcourue les allées. Marie aimait bien faire ce genre de choses. Elle se promenait la tête haute et faisait semblant qu’elle était une grande personne. Elle regardait les fruits, les légumes, les tâtant comme si elle était une experte. Elle faisait la même chose dans le rayon de la viande, hochant la tête en signe d’approbation de la qualité d’un morceau de veau ou de bœuf. Elle regarda la liste de courses et s’arrêta devant le poulet et choisi le paquet de cuisse en spécial pour la recette de poulet en papillote de sa mère.


En sortant du magasin, elle traversa la rue et entra dans la pharmacie ou elle continua de jouer à faire semblant d’être grande. Elle s’imaginait plus tard, quand elle serait adulte, quand elle serait enfin libre, libre de dire oui, ou non.

Arrivée à la caisse, elle leva les yeux vers la caissière et son cœur fit un bond. C’était elle! C’était elle dans son rêve… Marie, les joues écarlates de honte, paya, bégaya un merci et s’empressa de sortir.

Elle marchait tranquillement revoyant les images de son rêve qui, soudainement, lui apparaissait beaucoup plus clair que ce matin. Elle rougit tellement qu’elle sentait son cœur battre dans ses oreilles. Ça ne se pouvait pas! C’était péché ces choses-là. C’était mal. C’était…

  • Hé Marie! Attends-moi!

Marie se retourna et vit, à son grand déplaisir, Patrick qui courrait vers elle.

  • Tu n’es pas en pension?

  • Mêle-toi de ce qui te regarde! Je voulais juste te dire que j’ai vu Joseph ce matin.

  • Oui, et? Demanda t’elle d’un ton trop détaché pour être crédible.

  • Et bien il m’a dit de te dire qu’il avait très envie de te revoir.

Patrick la regardait tout souriant. Marie n’arrivait pas à savoir s’il était au courant de ce qui c’était passé la semaine d’avant, dans la cour d’école.

  • Je dois rentrer porter les courses à ma mère.

  • Ah t’inquiète j’avais bien mieux à faire que de rester avec toi de toute façon!

Il traversa la rue, d’un pas leste et, se retourna vers Marie et lui siffla:

  • Maaaarie et Joseph, ah mais c’est trop mignon ça!! A bientôooot!

Marie ravala sa salive qui avait un goût amer, comme si elle allait vomir.

  • Il ne faut pas que je le revoie, se dit-elle, son cœur se serrant dans sa poitrine et l’estomac noué.




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