L'incident
Marie ramena les courses à sa mère, la tête encore pleine de ce qui venait de se dérouler. Pourquoi la caissière de la pharmacie était-elle dans son rêve? Cela ne devait plus jamais se reproduire. C’était péché ces choses-là. Oh non! Sa mère si croyante, si près de Dieu qu’elle avait même envisagé de prendre le voile... Elle la renierait, c'est certain. Et puis, même son père qui était athée avait en horreur les gens comme ça, il les méprisait... Il fallait se sortir ses sottises de la tête, et vite!
Elle se servit un verre de Coke et s'assit à la table, face à la fenêtre qui donnait sur la ruelle. Patrick était là qui agaçait un plus petit...
Et puis lui… que cachait-il derrière ce sourire narquois. Savait-il ce que Joseph avait tenté de faire la semaine dernière? Marie se souvenait très bien de la menace que l’autre lui avait lancée : « je suis mieux de ne jamais te revoir sinon faudra finir ce qu’on a commencé. » Marie frissonna juste à cette pensée. Plus jamais, il ne fallait pas que ça arrive.
À l’heure du repas, Marie regardait encore dans le vide, son assiette de pâtes intouchée.
Marie, tu es encore dans la lune? Mange avant que ça ne soit froid.
Puis, elle ajouta d’un ton agacé.
Je ne comprends pas pourquoi tu niaise en plus, tu aimes ce plat!
Marie se redressa sur sa chaise en se raclant la gorge pour se donner une contenance et se remit à manger malgré son manque d’appétit.
Après avoir fini de ranger la vaisselle du souper, elle prétexta des leçons à faire et se réfugia dans sa chambre alors que le reste de la famille s’installait pour regarder « la mélodie du bonheur » qui passait à la télé. Quand Rachel vint dans leur chambre pour lui offrir du maïs soufflé, Marie s’était assoupie, sur ses couvertures, toute habillée.
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Marie a 7 ans, c’est l’été et il fait chaud, il doit être 15 :00 et elle revient sûrement de la piscine car sa peau dégage une odeur de chlore.
Elle n’est pas chez elle, il y a une odeur de tabac qu’elle ne reconnaît pas. Au sol, des tapis colorés, superposés de façon aléatoire, couvrant l’entièreté du plancher. Elle se tient debout devant l’immense canapé en cuir brun, un peu défraîchi mais encore très beau. Il y a des masques tribaux sur les murs, sûrement des souvenirs de voyage, se dit-elle. Il y a des livres partout, dans une bibliothèque mais sur les tables d’appoint aussi. Il y a des dizaines de bibelots mal assortis.
Et il y a cet homme. De petits yeux bruns cernés, un grand nez rond, des lèvres fines qui cachent de petites dents courtes mais larges. Il n’est pas si vieux mais il n’a déjà plus de cheveux sur le dessus de la tête.
« C’est peut-être pour ça qu’il a laissé ses cheveux longs sur les côtés, pour avoir l’air encore jeune » pensa Marie.
Elle se concentre sur tous ces petits détails car elle ne veut pas être là, dans cette pièce étrange. Elle n’est pas à l’aise ici et elle voudrait partir mais il lui tient les mains gentiment, il lui dit qu’il ne lui veut aucun mal. Et pourtant, elle n’est pas bien. Elle a froid et ce, même dans cette canicule.
Elle est nue devant lui, lui, sur le canapé brun. Il la touche et elle ne veut pas. Mais elle ne peut pas parler. Sa voix s’est prise quelque part entre sa peur et son incompréhension. Marie reste là, paralysée.
Et, dans un coin du salon, assis sur une chaise droite, comme s’il était puni, Patrick regarde la scène, gêné. Il la regarde avec ses yeux honteux, désolé et triste.
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Marie se réveilla en sursaut, il faisait nuit et elle était dans son lit. Ses yeux se remplirent de larmes et elle retenait ses sanglots pour ne pas réveiller sa sœur avec qui elle partageait sa chambre. Elle grelottait malgré la chaleur.
Elle se sentait sale, il l’avait sali avec ses mains. Il lui avait volé sa pureté, sa candeur, sa naïveté. Plus rien ne serait plus jamais comme avant. Sa mère ne pouvait plus l’aimer et peut-être que Dieu lui-même l’avait rejetée, elle était souillée. Elle ne sera jamais comme la Sainte-Vierge, se disait-elle tout en mouillant son oreiller de ses sanglots muets.
Marie finit par se rendormir, épuisée par cette souffrance beaucoup trop grande pour sa si petite âme et, au matin, elle se réveilla encore toute habillée. Son corps lui faisait mal, son être tout entier était meurtri mais, elle se leva et fit son lit, comme tous les matins, comme tous les jours depuis 2 ans, depuis l’incident. C’était ainsi qu’elle avait nommé la chose.
Elle repensait à son rêve, à son cauchemar plutôt, en se disant que cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu la hanter. Sans doute, les événements des derniers jours avaient-ils réveillé ces images et ces sensations qu’elle essayait désespérément d’oublier depuis.
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