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Photo du rédacteurMarie-Josée Riendeau

Marie XIII

Dernière mise à jour : 24 mars

Le chauffeur de taxi


Marie garda le souvenir de cette journée comme un petit trésor, bien caché dans son esprit. À son retour, lorsque sa sœur lui avait demandé comment s'était passée la séance d’enregistrement Marie avait répondu bêtement qu’elle avait été déçue que cela ne se soit pas passé dans un vrai studio mais que c’était bien et que Michel était un gars sympathique. Ce qui clos le sujet définitivement.

Le vendredi suivant, à la pratique de la chorale, Marie évita de croiser Marie-Claude, ce qui fut assez facile d'ailleurs puisqu’elle semblait très occupée avec Guy et Henriette. Elle était soulagée de ne pas avoir à lui avouer qu’elle n’avait pas encore osé en parler avec ses parents.

Pour le reste, la soirée se déroula normalement et, à 21h00 Guy, comme d’habitude, souhaita bonsoir aux plus jeunes qui quittaient la répétition. Voyant Marie-Claude qui semblait venir vers elle, Marie empoigna sans ménagement le bras de son amie Anne et la força à presser le pas vers le vestiaire.

  • Aïe! Mais qu’est-ce qui te prends?

  • Je suis fatiguée. J’ai hâte de rentrer.

  • C’est nouveau ça? Depuis quand t’as hâte d’aller voir la dame pas contente? Et puis tu m’as fait mal!

  • Mais non! Je t'ai à peine touché.

  • Je sais bien! Dit Anne en riant

  • Aller dépêche-toi.

  • Oui oui… Ah là là. T’es bizarre toi!

Malheureusement pour Marie, c’était trop tard, Marie-Claude les avait rejointes.

  • Alors comment ça va, les filles? Je suis contente de vous avoir rattrapé, je voulais vous parler.

  • Ah bon? Répondit Anne surprise.

  • Oui, Guy et moi parlions tantôt et nous voulions vous proposer de venir chanter à la messe du samedi. Est-ce que ça vous dirait?

  • Moi je ne peux pas le samedi, j’ai déjà mon piano.

  • Ah c’est dommage ça, et toi Marie? Qu’en dis-tu?

  • Oui! Ça me plairait bien! Mais je dois d'abord en parler à mes parents.

  • Oui bien sûr! Et pour ce dont nous avons discuté l’autre jour… Je suis désolée de ne pas avoir eu le temps pour que l’on en parle aujourd’hui. J’ai été un peu prise.

  • Oh ce n’est vraiment pas grave!

  • Écoute, de toute façon, j’ai regardé mon agenda et clairement nous ne pourrons pas commencer avant le mois de janvier. Alors ça nous donne du temps oui?

  • Oui tout à fait!

Aussitôt qu’elles furent à l’extérieur Anne s'empressa de questionner Marie.

  • Mais de quoi parlait-t-elle?

  • Elle m’a proposé de me donner des cours de solfège et des cours de chant.

  • Sérieux? Tu sais qu’elle faisait sa maîtrise en chant avant de changer pour la direction musicale? Elle est vraiment calée.

  • Ouais, répondit Marie en haussant légèrement les épaules.

  • Tu crois que ta mère ne voudra pas hein?

  • C’est ça. Surtout que ça va coûter des sous. Je ne crois pas que Marie-Claude va faire ça gratuitement même si elle est super gentille et tout.

  • Non, je ne crois pas non plus. Mais tu vas quand même le demander à ta mère hein?

  • Je ne sais pas.

  • J’y pense, ce sera bientôt Noël, tu pourrais lui demander ça comme cadeau?

  • Oui, c’est une bonne idée, répondit Marie sans grande conviction.

Marie savait très bien que même pour Noël, le budget de ses parents ne serait pas suffisant pour couvrir les frais des cours. Sa seule solution serait de se trouver un petit boulot, mais à 10 ans, c’était peu envisageable. Il fallait trouver une autre solution.

Arrivées chez Anne, les deux fillettes se dirent au revoir et Marie poursuivit son chemin jusque chez elle. Elle laissa de côté le problème des cours de chant et se concentra plutôt sur une question plus urgente, c’est-à-dire, est ce que sa mère acceptera qu’elle aille chanter à la messe du samedi. Elle se disait qu’elle avait de bonnes chances après tout puisque cela ne coûtait rien et aussi, c’était pour l’église. Cette dernière pensée la rendit optimiste.

En arrivant chez elle, Marie trouva sa mère au salon avec Rachel qui regardait un film.

  • Qu’est-ce que vous faîtes?

  • Rachel regarde « Quand l’inspecteur s’en mêle » et moi je tricote.

  • C’est bientôt fini mais tu peux venir regarder la fin avec-moi si tu veux. Lui proposa sa sœur.

  • D’accord.

Quand le film fut terminé, c’était l’heure d’aller au lit, pas question, donc de demander quoique ce soit à sa mère à ce moment-là. Marie se dit qu’elle attaquerait la question le lendemain matin au petit déjeuner ou peut-être, mieux encore, après les tâches ménagères alors que Diane serait fière du travail accompli. Marie embrassa sa mère et alla se coucher sans se faire prier.

Le lendemain matin elle se réveilla tôt, s'habilla et alla à la cuisine où, sans surprise, elle trouva son père qui prenait un café. Afin de mettre sa mère de bonne grâce, elle décida de mettre la table pour le petit déjeuner. En mettant les couverts, elle eut une pensée pour Sylvain dont c’était l’anniversaire. Peut-être l’appellerait-il cette semaine s’il avait le temps?

  • Qu’est-ce qui te prend de mettre la table pour le petit déjeuner? Demanda André avec un sourire en coin.

  • Ça me tentait, répondit-elle simplement.

  • Tu crois qu’elle ne le saura pas que tu as quelque chose à lui demander?

  • C’est si évident?

  • Juste un peu, se moqua-t-il. C’est quoi cette fois?

  • Guy m’a proposé de chanter à la messe du samedi. Il croit que je suis assez grande maintenant.

  • Ah… Moi, je n’y verrais pas d’inconvénient bien sûr, même si tu sais ce que je pense des bondieuseries… Mais ta mère… En tous les cas, si elle refuse, j’essaierai de lui parler. Ceci dit, tu la connais, tu sais comment elle est, une fois qu’une décision est prise, elle ne change pas d’avis facilement. De plus, je ne crois pas que mon opinion vaille bien chère par les temps qui courent.

Elle regarda son père qui fixait tristement sa tasse de café. Depuis le départ de Sylvain, André n’avait eu aucun répit car Diane était constamment sur son dos. Marie comprenait bien que les reproches de sa mère étaient justifiés, du moins, la majorité du temps, mais son père ne méritait peut-être pas la violence des mots de sa mère. Son grand frère s'était inquiété de son sort à elle, alors que c’est sur André que Diane avait finalement rejeté son courroux.

Le bruit de pas dans le long corridor qui séparait la chambre des maîtres de la cuisine firent comprendre aux deux complotistes que Diane venait de se lever. André regarda sa fille en levant les sourcils dans un mouvement que Marie connaissait bien et qui voulait dire : prépare-toi. Elle se redressa sur sa chaise, le dos bien droit, elle rassembla son courage. Sa mère arrivait.

  • André!? Mais qu'est-ce que tu fais encore ici?

  • Bien je prends mon café tranquille? C’est samedi!

  • Oui! Justement! Tu as un rendez-vous avec M Champagneur pour qu’il te prenne sur sa flotte de taxi. Tu es en retard d’ailleurs!!!

  • Diane, j’ai déjà un job. Je suis mon propre patron et je n’ai pas envie qu’il en soit autrement!

Le ton monta.

  • Ton rêve ne paie pas le loyer André! On en a déjà trop parlé. Là, tu vas lever ton gros derrière de sur ta chaise, tu vas te changer et tu te grouilles!!!

  • Mais Diane…

  • Il n’y a pas de mais qui tienne, tu vas voir M Champagneur ou tu prends la porte. Je ne reviendrai pas là-dessus.

André, jura et se leva si brusquement de sa chaise qu’il la renversa. Il fusilla Diane du regard, se retint de dire ce qui lui pendait au bout des lèvres et sortit de la maison en claquant la porte. Diane prit une grande respiration de soulagement, se servit un café et s'assit à table. Ils avaient vraiment besoin de ce nouveau job. Elle regarda par la fenêtre, perdue dans ses pensées, ignorant complètement Marie qui avait assisté à la scène. Marie regardait sa mère les yeux nageant dans l’eau... Et si son père ne revenait plus à la maison?

Une heure plus tard, Diane, Rachel et Marie étaient aux corvées du samedi. Chacune à ses tâches, elles frottaient, récuraient et époussetaient en écoutant du Joe Dassin et, à 13h00, tout était propre et rangé. Elles passèrent à table pour manger de fabuleux sandwichs de pain de mie au baloney, beurre et moutarde baseball, accompagné de chips Maple Leafs et d’un petit coke en bouteille.

Marie savourait ce moment. Elle aimait ces dîners quand le ménage était terminé et qu’une odeur de javel et de nettoyant régnait dans la maison. Le repas alors, quel qu'il fût, avait une saveur particulière et, à cet instant précis, elle ne pensait à rien d’autre que cette pause dans le tourbillon qui l’habitait habituellement. Le bruit des croustilles, le moelleux du pain, le goût vinaigré de la moutarde, le gras de la viande et la rondeur du goulot de la bouteille. Même l’odeur fétide de sa mère qui avait eu chaud la réconfortait et contribuait à ce petit moment de grâce.

  • Alors Marie, tu vas te décider à me le demander ou pas?

  • Hein! Quoi? Comment tu le sais?

  • Parce que tu es dans la lune et que tu es trop tranquille.

  • ah!, heu…

  • Tu sais Marie, le pire qui peut arriver c’est que je te dise non. Alors vas-y.

  • Bon… Heu... Guy…

  • Encore ta foutue chorale! J’aurais dû m’en douter.

Marie se tût, elle n’osait prononcer un autre mot mais, devant le silence de sa mère et son regard qui la priait de continuer, elle décida, finalement, d'y aller franco.

  • Est-ce que je peux aller chanter à la messe du samedi?

  • Quand?

  • Bien, le samedi? Répondit Marie sur le ton de l’évidence.

Diane fronça les sourcils et ajouta en appuyant bien sur le premier mot.

  • TOUS les samedis?

  • Oui?

  • Je vais devoir y réfléchir.

  • Mais maman! Ça ne coûte rien du tout! Et puis ça ne m’empêchera pas de faire mes corvées, je dois être là-bas à 15h30 seulement. Et puis c’est pour une bonne cause? Non? ajouta-t-elle d'un ton suppliant.

  • D'un, la religion n’est pas une “cause” comme tu dis mais un engagement envers Notre Seigneur et, de deux, je trouve que tu négliges déjà beaucoup tes travaux scolaires.

  • Ce n’est pas comme si je faisais mes devoirs le samedi entre 15 et 18h00 non plus hein!

  • Ne sois pas impolie jeune fille!!!

  • Oui mais… Il est déjà presque 14h00.

  • Et alors?

  • Si tu acceptes, il faudrait que je me prépare? Demanda Marie d’une toute petite voix.

  • Eh bien, tant pis pour toi! Puisque tu me presses, c’est non!

  • Mais...!

  • C’est non je te dis, et si tu continues à insister, tu seras punie!

Marie, à la fois contrariée et contrite, se tût et continua à manger son sandwich qui, soudainement, avait perdu tout son merveilleux.

La porte d’entrée se fit entendre et Marie ressentie un grand soulagement en comprenant que son père rentrait à la maison.

Il se pointât dans le cadre de la porte, titubant, une caisse de bière dans une main et, de l’autre, un baril de poulet frits Kentucky.

  • Alloooo! lança-t-il le ton badin et empâté.

  • Tu es saoul! Affirma Diane avec dégoût.

  • Hey! Pourquoi t’es comme ça? J’ai fait ce que tu m’as dit. J’ai vu Champagneur et je suis maintenant un chauffeur de taxi et t’es même pas contente… En plus j’ai apporté le lunch.

  • Comme tu peux le voir, nous avons déjà mangé. Les filles, sortez de table et allez jouer dehors.

  • Mais maman on gèle et il pleut dehors!!! S'exclama Rachel.

  • Vous n’avez qu’à vous habiller chaudement c’est tout, dehors!

Rachel regarda sa sœur et la prit par la main en lui chuchotant;

  • Ce n'est pas grave, viens, on va aller regarder la télé chez mon amie Isabelle.

Quelques jours plus tard, ce fût l’inauguration de la grande crèche et Marie, lors de son solo, ne fit aucune faute et n’eût aucune hésitation. Pourtant, l’église était pleine à craquer, il y avait des gens jusque sur le parvis qui espéraient sans doute voir Ginette Reno, même de loin. Malgré tout, elle ne ressenti qu’un léger trac car du haut du jubé, elle était loin de la foule et c’était facile de l’oublier. Oh, bien sûr elle savait que Madame Reno était assise au premier rang, dans le premier banc près de l’allée centrale. Marie pouvait la voir lorsqu’elle se mettait sur la pointe des pieds. Alors elle n’avait qu’à ne pas regarder, à faire comme si, à se concentrer sur Guy et sur les quelques lignes qu’elle avait à chanter seule.


Vers la fin de la messe, la grande dame de la chanson se leva pour faire son discours. Elle leur parla de son enfance dans le quartier, du père Sablon qu’elle aimait tant et puis, soudainement et malgré l’interdiction formelle de son imprésario, elle ne put se retenir plus longtemps. A Capella et sans micro Ginette se mit à chanter dans ce lieu sacré qui l’avait vu grandir et, de sa puissante voix, elle fit vibrer l’église toute entière, des vitraux aux paroissiens et jusqu’au cœur de Marie.


À la fin de la cérémonie, après que la foule se soit un peu dispersée, les membres de la chorale descendirent du jubé pour se rendre à la sacristie où parents et amis attendaient les chanteurs. Et là, tout au fond de la pièce, s’entretenant avec le curé, il y avait Ginette. Marie aurait voulu aller la voir mais elle voyait bien qu’elle la dérangerait. Alors elle se contenta de la regarder de loin. Après quelques minutes de bavardage, un homme se joignit à eux et lui glissa quelques mots dans l’oreille. Madame Reno s’excusa auprès de l’homme en soutane et se dirigea vers Guy qui l’attendait à quelques mètres de Marie seulement. Les deux se regardèrent avec un sourire entendu et puis Guy se tourna vers la foule.

  • Votre attention s’il-vous-plaît? Guy se râcla la gorge. Votre attention! Madame Ginette Reno aimerait s’Adresser à vous.

  • Bonjour à tous, dit-elle. Je voulais vous remercier pour cette belle musique. Vous m’avez fait revivre de beaux moments, vous, tout particulièrement, les enfants.

Puis elle ajouta, en regardant dans la direction de Marie.

  • J’aimerais tellement ça vous prendre dans mes bras et vous dire combien je vous aime. Merci. Du fond du cœur Merci.

  • Madame Reno, c’était un honneur, lui dit Guy en prenant sa mais entre les siennes.

Marie avait eu l’impression que Ginette s'était adressée directement à elle et cette sensation la remplissait de bonheur. Même si elle savait bien que c’était faux, elle se laissa bercer par cette illusion qui la faisait flotter sur un nuage de tendresse et d’affection. Elle sourit bêtement tout en regardant la grande dame quitter l’église avec son équipe.

  • Allez Marie, vas te changer! Sors de la lune! Lui dit Anne. On n'a pas toute la journée.

Lorsqu'elle sortit de l’église accompagnée de son amie Anne, André l’attendait, debout, appuyé sur son beau taxi neuf. Marie se mit à courir vers lui en criant.

  • Papa!!! Tu es venu me chercher?

  • Comme tu peux le voir. J’ai pensé que ça te ferait plaisir que je te ramène à la maison entre deux clients.

Marie sauta sur le siège avant de la Plymouth Volare bleue, à côté de son père qui lui souriait. Dans un rare geste affectueux, il entoura les petites épaules de sa fille de son bras costaud et la serra fort contre lui puis il embrassa le dessus de la tête.

  • Tu le sais que je t’hais hein?

  • Moi aussi je t’aime papa.

André déposa sa fille devant leur appartement, lui fit un signe de la main et reprit la route de son taxi.

En rentrant à l’intérieur, Marie fut accueillie par l’odeur de la sauce à spaghetti de sa mère dont elle suivit le parfum jusqu’à la cuisine ou elle eut l’agréable surprise de trouver son frère en train de prendre un café avec Diane. Cela faisait tellement longtemps qu’elle ne l’avait pas vue. Il lui semblait changé, plus grand, plus mince mais surtout, plus fort et plus beau.


Ce soir-là, quand Marie alla se coucher, elle avait encore le sourire aux lèvres, un sourire de vrai bonheur. Quelle belle journée que cette journée-là. Oui tous ces beaux souvenirs-là allèrent rejoindre les autres dans son petit jardin secret, là où elle allait quand sa réalité se faisait trop dure.





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