La cabane
Sylvain resta quelque temps à la maison, juste le temps de retomber sur ses pattes. Puis, il reparti vivre en appartement sans cri et sans heurt. Après ce départ, il donna de ses nouvelles plus souvent et passa du temps avec ses sœurs plus régulièrement. Sa vie d’adulte, dès lors, commença pour de bon, il avait 17 ans.
Les jours, les semaines et puis les mois passèrent. L’école était finie, l’été était arrivé et André accrocha ses clés de chauffeur de taxi pour la saison estivale afin de reprendre sa compagnie. Encore une fois et ce, malgré des rentrées d’argent plus régulières, le budget familial ne permit pas la location d’un chalet cette année-là. Malgré tout, un soir pendant le repas, Diane annonça à ses filles qu’elle les avait inscrites dans un camp de vacances. Rachel n’était pas très emballée mais Marie, elle, regarda les prospectus que sa mère avait déposés sur la table avec intérêt.
Depuis le début des vacances leurs propriétaires étaient en voyage, Marie n’avait donc pas vu Patrick depuis, mais elle savait qu’ils reviendraient à la fin du mois de juillet et elle redoutait ce moment.
On part quand? Demanda Marie d'un air faussement détaché.
Lundi 23 juillet et vous revenez dimanche 5 août.
Ça dure deux semaines?! s’écria Rachel, scandalisée.
Marie calcula rapidement. Seulement trois semaines et des broutilles à subir les railleries et les mauvais coups de son voisin d’en haut, c’était plus qu’elle ne pouvait espérer, se dit-elle.
Quand le jour du départ arriva, Marie était surexcitée et paniquée à la fois. Et si elle ne se faisait pas d’amies là-bas? Et si c’était comme à l’école et que tout le monde se moquait d’elle? Tout à coup, elle se demandait si elle avait vraiment envie d’y aller.
Bon, de toute manière, elle n’avait pas le choix, alors aussi bien appréhender cette aventure avec optimisme et, aussi, avec le sourire. Elle monta donc à bord de l’autobus, suivant Rachel qui faisait la moue, et s’assit à côté de sa sœur l’air décidé et résolue à avoir du plaisir.
Les premiers jours au camp furent difficiles. Elle faisait au mieux pourtant, participant aux activités avec entrain et positivisme. Malheureusement Marie n’avait rien d’une athlète et, mis à part la nage où elle excellait, elle n'impressionna personne au tir à l'arc, à la course ou à l'escalade. Pire même, elle s’attirait les moqueries de ses pairs. Elle aurait bien aimé que les mots blessants ne la touchent pas autant mais elle n’y arrivait pas alors le soir au bivouac, elle restait muette et taciturne. Elle laissait les autres chanter car elle ne connaissait pas les chansons et, boudeuse et renfrognée, elle se refusait à les apprendre.
Toutefois, vers la fin de la première semaine, elle finit par se rapprocher de deux autres jeunes filles, Chantal la bègue et Geneviève dite, la pisseuse. Le trio devint vite inséparable et ainsi, Marie commença à prendre plaisir au camp.
Un matin, à l’aube, Marie se fît réveillée par des sanglots. Geneviève avait eu un petit accident pendant la nuit et elle essayait d'éponger son sac de couchage avant que les autres filles se réveillent et s’en aperçoivent. Sans faire de bruit Marie se leva et, mettant un doigt sur ses lèvres, elle fît signe à Geneviève de ne pas faire de bruit. Elle prit le sac et l’emmena au bord du lac où elle le lava à grande eau avec sa serviette de plage. Elle l’installa ensuite sur la corde pour le faire sécher , prit son amie par la main et elles retournèrent au campement. À leur arrivée, les filles étaient déjà réveillées et, ayant remarqué le matelas nu de Geneviève, avaient deviné ce qui s’était passé.
Tiens! Si c’est pas la pisseuse et la sans-dessein qui reviennent!
Tais-toi donc Nathalie! Répondit Marie.
Je vais dire ce que je veux ok?
Ça te ferait mal d’être gentille et compréhensive pour une fois?
Geneviève nous empeste avec son odeur de pisse! Ça pue ici dedans et ça me lève le cœur, Geneviève me lève le…
Nathalie n’eut pas le temps de finir sa phrase. Chantal s’était levée de son lit et, sans aucune hésitation, avait poussé Nathalie par terre et lui avait envoyé un coup de poing direct dans l'œil. La bagarre ne dura que quelques minutes car, alertés par le bruit, des moniteurs vint séparer les deux pugilistes et les amenèrent au chalet principal.
Les activités de la journée prirent leur cours normal et les filles y participèrent silencieusement jusqu’au dîner. C’est à ce moment-là que Chantal et Nathalie, accompagné du directeur du camp, rejoignirent le groupe.
Nathalie, n’as-tu pas quelque chose à dire? Demanda le directeur.
Oui monsieur... Geneviève, je m’excuse.
Ça va. Répondit-elle nonchalamment.
Bon, voilà qui est fait! Dit-il, puis se tournant vers les deux filles. Allez manger maintenant et que je ne vous revois plus dans mon bureau. C’est compris?
Oui Monsieur St-Jean, répondit les deux ex assaillantes d’une même voix monocorde qui fit pouffer de rire les filles assises autour de la table.
Ce soir-là, au bivouac, toutes les filles étaient réunies autour du feu et chantaient ensemble. Même Marie.
Le camp se termina et lorsque l’autobus jaune arriva à Montréal, toutes les jeunes filles s’embrassaient et s’échangeaient leurs numéros de téléphone, se promettant de se revoir, de se donner des nouvelles ou de s’écrire. Ce qu’elles ne firent jamais, évidemment. Mais ça, elles ne le savaient pas, bien sûr.
Rachel et Marie, les yeux rougis, montèrent dans la vieille Impala rouge de leur père et rentrèrent à la maison.
Dans la semaine qui suivit, tout se passa normalement, c’était le retour à la routine d’été habituelle; piscine, parc, vélo, re piscine. Bien sûr, c’était inévitable, Marie croisa Patrick à quelques reprises et, à chaque fois, il était accompagné de son nouvel acolyte, Joseph. Même si Marie craignait ce dernier, il fallait bien admettre que Patrick semblait avoir changer à son contact. En effet, pas une fois lors de leurs courtes rencontres, il ne l’avait ridiculisé ou insulté. Au contraire, il l’avait simplement salué au passage, d’une voix douce, presque timide même. De sorte que, dans la deuxième semaine, quand il lui proposa de le suivre parce qu’il désirait lui montrer quelque chose de vraiment cool, elle accepta.
Marie suivit donc Patrick vers la grande artère à l'extrémité est de la municipalité. Mais, plus elle avançait, plus elle se rendait compte qu’ils approchaient du chemin de fer. À ce moment-là, elle ne fût plus certaine d’avoir fait le bon choix en décidant de le suivre car elle avait encore en mémoire les magouilles de l’année d’avant, celles qui lui avaient valu une visite au poste de police. Elle craignait maintenant qu'une fois de plus, Patrick la mette encore dans le pétrin. Malgré cela, elle continua de se laisser guider, piquée par la curiosité.
Après maints dédales, ils arrivèrent près de l’artère principale mais, au lieu de continuer vers celle-ci, ils empruntèrent une petite rue que Marie n’avait jamais remarquée. En fait, c’était une petite bretelle qui menait à la partie supérieure du viaduc surplombant la grande avenue qui séparait son quartier du voisin et où passaient les trains. Sur le côté ouest, il y avait un espace de stationnement ainsi qu’un édifice qui avait anciennement servi aux employés du chemin de fer. Et du côté est, entre l’édifice de briques brunes et le mur du pont, il y avait un petit boisé étroit.
Patrick, suivi de près par Marie, traversa le stationnement, puis, longea la voie ferrée et pénétra dans la mini forêt de buissons sous le regard amusé des peintres qui travaillaient à la réfection du viaduc.
Ils marchèrent jusqu’au bout du petit corridor de branches et de verdure pour aboutir dans un petit espace défriché et aménagé de trois caisses de lait sur lesquelles on pouvait s'asseoir et d’une petite cabane faite en palette de bois recouvertes de carton agrafé. En guise de porte, une planche en cèdre aggloméré était fixée maladroitement avec des pentures toutes rouillées.
Lorsqu’ils arrivèrent, la porte s’ouvrit et Joseph apparut devant eux. Marie sursauta et, instinctivement, recula de quelques pas.
Ah! Vous voilà! Ça a été long!
Ouais je suis passé chez nous pour nous prendre ça. répondit Patrick en sortant un pain et du beurre d'arachide de son sac.
Ah, parfait! J’avais super faim.
Tous deux s'installèrent sur leurs chaises de fortune. Joseph prit une planche qu’il mit sur ses cuisses pour s’en servir comme plan de travail. Il se prépara une tartine et tendit la planche à Marie qui était restée debout à le regarder, encore effrayée.
Ben aller! Tire-toi une bûche comme on dit. Fais-toi une beurrée.
Marie ne bougea pas.
Come on! Je te mangerai pas.
Marie, toujours incertaine, prit une caisse de lait et s’assit. À son tour, elle se fit une tartine qu’elle mangea du bout des lèvres. Le reste de l’après-midi se passa tranquillement et elle finit par se détendre un peu.
Patrick vint la chercher quelques fois durant cette semaine-là pour aller à la cabane où ils y traînaient avec Joseph toute la journée. Marie apprenait à connaître Patrick sous un autre angle. Il était subjugué par son nouvel ami qu’il semblait admirer énormément. Et c’est vrai qu’il était impressionnant ; grand et costaud, une moustache naissante malgré ses 16 ans et la voix déjà grave, il en imposait. Il parlait peu, et quand il le faisait, c’était généralement pour donner des ordres. À contrario, Patrick lui, n’arrêtait pas de babiller et de raconter ses exploits parfois vrais et parfois inventés.
Il y avait presque toujours de la nourriture sur place et quand il en manquait, le trio allait dans un dépanneur. Marie occupait le caissier en lui demandant de lui montrer un produit quelconque pendant que les deux autres larrons se remplissaient les poches de victuailles sucrées et salées. Parfois même, si Marie jouait bien son rôle, ils arrivaient à piquer quelque chose à boire. Marie commençait même à prendre goût à ces activités de voyous.
Un jour qu’il revenait avec leurs poches pleines de boustifailles et se vantant à voix haute de leur méfait collectif, un peintre les suivit sans se faire voir jusqu’à leur cachette. Dans le buisson il attendit que les jeunes vident leurs poches pour les surprendre en flagrant délit. Lorsqu’il surgit soudainement des fourrées, les trois compères sursautèrent.
T'as pas d'affaires ici le vieux, dit Joseph qui avait repris son sang-froid subito-presto.
Je vais où je veux le grand. C’est un terrain public ici. Pis à part ça, ça fait un bail que je vous observe, toi, le petit pis ta blonde.
C’est pas ma blonde, pis ça te regarde pas.
Est pas mal cute la petite hein? Pis ça c’est une belle cabane… Vous devez faire pas mal de cochonneries là-dedans? Non?
Je t’ai dit de partir, es-tu sourd?
Non mais, écoute... On parle là. Moi je sais que vous avez volé tout ça hein? Je pourrais vous dénoncer.
Me semble ouais… Fous-nous la paix, on t’a rien demandé.
Qu’est-ce que tu dirais si je te donnais 2 piastres pour passer du temps dans la cabane avec la petite?
T’es malade toi? Va-t'en, je le répéterai pas. Dit Joseph en se levant et en s’approchant de l’ouvrier, levant son poing dans les airs pour le frapper.
Les nerfs le grand! Les nerfs… Pis si je te proposais un 5?
Joseph ne recula pas mais arrêta son geste. Il resta planter là, menaçant le peintre du poing mais, soudainement, avec beaucoup moins de conviction.
Ok ok! 10 piastres mais c’est ma dernière offre.
Joseph se rassit sur la caisse de lait et alluma une cigarette.
Juste toi ou y en aurait d’autres? Demanda-t-til après avoir pris quelques touches.
Faut que je voie mais je suis pas mal certain qu’on pourrait être 3, ou 5 peut-être?
Parle à tes gars pis reviens me voir cet après-midi avec leurs réponses pis l'cash. De mon côté, je vais y penser.
Marie, figée sur sa caisse en plastique bleue, avait tout entendu sans pourtant y croire. Venaient-ils vraiment de la marchander de la sorte? Marie ne pouvait imaginer un seul instant que Joseph allait aller de l’avant avec ce projet sordide. Elle le regardait, puis elle regardait Patrick. Elle cherchait désespérément un signe, un indice qui la rassurerait. Mais rien. Joseph continuait de fumer sa clope tranquillement en faisant des cercles avec sa fumée et Patrick lui, jouait avec un bâton dans le sol.
Non mais, mais les gars, v…vous êtes pas sérieux là?
Toi, Marie, tu vas faire exactement ce que je te dis de faire. J’ai rien dit jusqu’ici mais tu le sais que tu m’en dois une. Faque tu vas juste te la fermer ben dur, pis tu vas être une gentille fille.
Patrick qui n’avait rien dit depuis le début la regarda et ajouta.
C’est ça Marie! Tu vas faire ce qu'on te dit de faire pis c’est tout.
Marie voulut se lever mais ses fesses ne s’étaient pas encore détachées de son siège que Joseph était déjà debout devant elle.
Où est-ce que tu penses que tu t’en vas petite salope? Tu vas rester gentiment ici, avec nous.
Marie ne bougea plus.
Il s’écoula environ une heure avant que l’ouvrier ne revienne. Une heure pendant laquelle Marie pria en silence. Les lèvres frémissantes et les yeux baignant dans ses larmes, elle priait pour un miracle. Un miracle qui, malheureusement, ne vint jamais.
Deux hommes accompagnaient le peintre, leurs billets de 10 dollars tout neuf dans les mains. Joseph poussa Marie à l’intérieur de la cabane et referma la porte. Il prit le premier billet.
Ok les gars. Première règle. elle reste toute habillée et, deuxième règle, soyez gentils avec elle.
Le soleil plombait sur le toit de carton et il faisait chaud dans la cabane, un par un et tour à tour, ils entrèrent dans l'abri de fortune où Marie les attendait. Elle posa les gestes qu’on lui demanda, comme une automate, répondant de son mieux aux directives de ses agresseurs. Fais comme si, comme ça! Ou, plus vite, plus fort!
Ça puait une odeur de peinture, de sueur, de cigarettes, de bière et de sexe. Son corps était présent mais sa tête était ailleurs, il le fallait. Seule cette senteur répugnante réussissait à pénétrer la barrière qu’elle avait instantanément érigée dans son esprit.
Elle ne sût jamais combien de temps elle était restée dans la noirceur de sa prison. Mais, quand le cauchemar fut enfin terminé et qu’elle en sortit, ses yeux furent aveuglés par la luminosité subite du soleil et elle dû s'agripper aux murs fragiles de la cabane pour ne pas tomber. Elle était trempée de sueur et tachée de terre, entre autres choses. Elle était étourdie, perdue. Elle s’effondra brusquement et, les genoux au sol, vomit tout ce qu’elle avait en elle.
Quelle emmerdeuse! S’écria Joseph. Pat! ramène-là chez elle, elle pue. Je vais essayer de ramasser son dégât. Fais vite, pis reviens.
Patrick s’exécuta. Il tendit la main à Marie et l’aida à se lever et à sortir du corridor d'arbustes. En chemin, passant devant un parc, il l'a fît asseoir sur un banc. Il alluma une cigarette et la tendit à Marie qui la refusa d’un mouvement de tête.
Prends là, insista-t-il, ça va changer le goût dans ta bouche.
Marie, ayant perdu toute capacité à résister, la prit et l’amena à ses lèvres. Elle tira une touche, sans inspirer. Elle regarda la fumée s'échapper de sa bouche en essayant de créer différentes formes.
Marie… Je ne pensais pas qu’il allait vraiment le faire… Je suis désolé.
C’est pas grave Pat, c’est rien. Répondit Marie d’un ton neutre et sans émotions.
En entrant chez elle Marie prit un long bain brûlant dans lequel elle se lava avec le gant de crin de sa mère. Elle ne pleura pas, elle ne cria pas.
Elle sortit du bain et fît une lessive pour que sa mère ne trouve pas ses vêtements souillés. Pendant que la brassée se faisait, Marie ouvrit le réfrigérateur. Elle n’avait pas particulièrement faim mais c’était par pur automatisme. En fait, elle avait encore un peu la nausée. Dans la porte du frigo elle trouva de la bière et elle décida d’en prendre une. Elle l’avala en quelques gorgées à peine. Bien que le goût amer de ce liquide ne lui plût pas, sa fraîcheur et ses bulles qui pétillaient sur sa langue lui faisaient du bien. Elle en prit donc une deuxième. Et, comme elle aimait bien cette sensation d’engourdissement qu’elle commençait à ressentir, elle en prit encore une troisième.
Quand la lessive fût prête à étendre sur la corde, Marie était complètement ivre mais elle réussit tout de même à mettre la brassée à sécher avant d’aller s’écrouler dans son lit.
Peu de temps après, André revint du boulot et trouva sa fille endormie et grelottante malgré la chaleur accablante. Il décréta qu’elle avait un rhume, la borda et la laissa dormir, sans se poser plus de questions.
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