La grande nouvelle
À son arrivée à d’école, Marie eut l’agréable surprise d’apprendre qu’elle était dans la classe de 6e année A, la classe avancée de Mademoiselle Perron. Marie qui n’avait pas une moyenne générale très élevée, ne s’y attendait pas du tout. Mais il faut savoir que Béatrice Perron ne fonctionnait pas comme les autres professeurs. Elle triait ses étudiants sur le volet en choisissant ceux qui, selon elle, étaient les plus aptes à suivre son programme un peu particulier. Ses critères de sélection étaient peu connus, même de la direction, mais de toute évidence, les résultats académiques n’en faisaient pas partie.
Lorsqu’elle arriva dans sa classe, Marie fut surprise de n’y trouver aucun pupitre. À la place, il y avait, une vingtaine de chaises disposées en cercle dont une, plus massive que les autres, qui devait être destinée à sa nouvelle institutrice.
Béatrice les attendait près de la porte de sa classe, le dos appuyé sur un grand tableau vert. Elle semblait prendre un malin plaisir à regarder les visages étonnés de ses nouveaux élèves. Elle les étudiait un à un, analysant leurs réactions face à la disposition inhabituelle du local. Certains restaient planté là, attendant de recevoir des directives alors que d’autres semblaient se demander quelle chaise choisir. Marie, elle, entra et se dirigea directement vers le siège juste à côté de la grande chaise en bois massif et s'y assit, toute souriante, et attendit que la classe débute.
Peu à peu les élèves imitèrent Marie et vinrent s'asseoir dans le cercle, suivis, à la toute fin par Mlle Perron qui prit place sur la grosse chaise.
Certains d'entre vous ont entendu parler de moi, parfois en bien et, sans doute, parfois en mal. Dans les deux cas de figure, les rumeurs que vous avez entendues sont probablement vraies. Alors avant que je vous parle du programme que nous allons suivre cette année, j’aimerais, afin que nous soyons tous à la même page, que nous fassions un tour de table. Ou plutôt, dans ce cas-ci, un tour de chaise. Tour à tour vous vous présenterez brièvement ; je vous demande votre nom d’abord, ensuite nommez-moi une activité que vous pratiquez et aimez, ou pas à la rigueur et, finalement, vous me direz ce que vous avez entendu à mon propos. Nous commencerons par ma gauche.
Les élèves s’exécutèrent un à un. Un élève raconta qu’il avait entendu dire que l’institutrice de 6e A était sévère, un autre dit qu’on lui avait dit qu’elle était gentille, un autre encore dit qu’on ne travaillait pas dans cette classe. La dernière à parler fût Marie.
Mon nom est Marie et ma sœur, qui était dans votre classe l’an dernier, m’a raconté que vous portez une perruque.
Elle avait prononcé cette phrase avec candeur et Béatrice, maintenant, la regardait avec ses yeux ronds comme des billes avec insistance. Elle la dévisageait de son regard bleu perçant et Marie, soudainement craintive de la réaction de sa nouvelle professeure, soutenait son regard, résignée à subir les conséquences de sa maladresse.
Après un temps qui parut interminable, Mlle Perron détacha son regard de l’impudente et répondit aux interventions des autres élèves. Oui, il lui arrivait d’être sévère ou exigeante envers ses élèves et c’est pour cette raison qu’elle les choisissait avec soin. Oui, elle était gentille avec ceux qu'il était en retour, sinon, sans être méchante, elle pouvait être fort désagréable ou acerbe. Non, il n’y a pas de fainéantise dans sa classe, simplement une autre façon d’apprendre et un autre point de vue sur ce qui devait être appris à l’étape ou ils étaient. Puis, elle regarda Marie.
Elle sourit tout en la regardant et, lentement, elle leva les mains jusqu’à sa tête et, délicatement, enleva sa perruque devant les enfants ébahis.
Il y a quelques années, j’ai commencé à perdre mes cheveux et, suite aux recherches faites avec mon médecin, nous avons découvert que je suis allergique à la craie de tableau. Comme il est hors de question que je change de profession, j’ai opté pour la perruque. Voilà.
Elle replaça sa perruque en se regardant dans le petit miroir près de la porte et ajouta qu’il était temps, à présent, de parler de chose sérieuse, le programme de l’année. Elle invita ses étudiants à placer leurs chaises face au tableau en formant deux belles lignes. Elle passa près de Marie et posa sa main sur son épaule.
Tu diras à Rachel qu’elle m’en doit une, glissa t’elle à son oreille avec un petit rire.
Marie comprit, par ce geste, que sa candeur et sa franchise avait conquis le cœur de son institutrice et que sa 6e année serait une de celles que l’on n’oublie pas.
Malheureusement, si à l’école et à la chorale tout allait pour le mieux, il en était autrement à la maison. Les parents de Marie se querellaient de plus en plus et même que son père qui, d'ordinaire se laissait malmener par Diane, répliquait et élevait la voix avec violence. Les sujets de litige étaient essentiellement l’argent et l’alcool bien que la tension dans le couple fût rendue à un tel niveau qu’un rien pouvait désormais déclencher une avalanche d’injures. Les engueulades se succédaient sans qu’il y ait de résolution de conflit si bien que, début décembre après un souper bien arrosé, le couple décida de mettre fin à leur union.
Ils n’étaient plus fâchés, simplement, ils étaient tous les deux malheureux dans ce qu’était devenu leur relation, il fallait y mettre un terme, c’était la seule issue. Après une très longue discussion, il fût convenu qu’il était préférable d’attendre après les fêtes de noël pour annoncer la nouvelle à leurs filles et que, pendant ce temps, André se chercherait un endroit ou vivre. Soulagés et enfin libérés du poids de cette décision, ils prirent un dernier verre et ensuite, lorsqu’ils allèrent au lit ce soir-là, ils firent l’amour pour la dernière fois.
Début janvier, à l’heure du souper, Diane pris une grande respiration avant de prendre la parole.
Les filles, votre père et moi avons une nouvelle à vous annoncer. Une nouvelle qui va bouleverser nos vies à tous.
Elle fit une pause en regardant André dans les yeux.
Je suis enceinte.
Marie n’en revenait pas. Elle prit quelque temps pour assimiler l’information puis, elle se mit à danser dans la salle à dîner. Elle était si heureuse elle sautait partout criant à tue tête.
Merci mon Dieu, merci!! Oh enfin! Merci merci. C’est merveilleux, ça va être un garçon ou une fille? On va l’appeler comment? Quand est-ce que le bébé va naître?
Du calme, du calme, du grand calme Marie. On ne connait pas le sexe de l’enfant encore, et si tout ce passe bien, il ou elle naitra en septembre.
Marie se mit à courir dans tout l’appartement en chantant.
On va avoir un bébé, on va avoir un bébé!!!
Marie ne se rendit pas compte qu’elle était la seule à qui la nouvelle semblait plaire, elle jubilait.
Marie vient t’asseoir! Dit André d’un ton ferme. Le repas n’est pas terminé.
À contrecœur, Marie, obtempéra.
Maman? Demanda Rachel doucement. Ce n’est pas un peu... Tard? Je veux dire, tu n’es plus si jeune.
En effet Rachel, c’est un peu tard, comme tu dis. En tenant compte de ce facteur et de ma forme physique générale, cette grossesse est considérée à risque et je serai donc suivit de près par un obstétricien jusqu’à la naissance de l’enfant.
Donc ce n’était pas prévu…
Ce n’est pas important ça, coupa Diane
C’était un accident, insista Rachel.
Oui, si tu veux. Mais voilà, le bébé est là et on se croise les doigts pour que tout aille bien.
Mais maman, de nos jours, tu peux décider d’interrompre ta grossesse.
Je sais Rachel que c’est possible. C’est sans doute possible pour d'autres mais pas pour moi. Dieu a créé cet enfant dans un dessein que j’ignore mais voilà, il veut de cette vie alors moi aussi. Nous aussi, reprit-elle en insistant sur le « nous ».
Qu’est-ce que ça veut dire, à risque? Demanda Marie qui, au fil de la conversation était redescendue de son nuage.
Ça veut dire qu’il y a des possibilités de complications.
Comme quoi? S’inquiéta-t-elle.
Premièrement, il y a plus de chance qu’il y ait des problèmes pendant la grossesse comme le diabète, des problèmes de pression artérielle et ce genre de chose. Et, deuxièmement, les risques que l’enfant ne soit pas en santé sont plus grands. Mais pour cet aspect-là, nous serons bientôt fixés, j’ai eu une amniocentèse en début de semaine et nous devrions avoir les résultats d’ici une dizaine de jours.
Devant les regards interrogatifs de ses filles, Diane expliqua qu’il s’agissait d’un test qui permettrait de déterminer, entre autres choses, si le bébé était atteint de trisomie 21 (syndrome de Down).
Mais aussi, ajouta-t-elle afin d’alléger l’atmosphère devenue un peu lourde, cela nous dira si c’est un garçon ou une fille!
Qu’est-ce que tu vas faire si le p’tit est mongole?
Marie! On ne dit pas ça!
Trisomie alors.
Trisomique… Je ne sais pas… J’espère ne pas être confrontée à cette question.
Ce soir-là, dans son lit, Marie pria longtemps. Elle remercia Dieu de lui avoir enfin donné le petit frère ou la petite sœur qu’elle demandait depuis toujours.
Bon, Vous auriez pu, peut-être, me répondre plus vite, ça nous aurait épargné tout ces risques inutiles… Mais bon, j’imagine que c’est Vous qui savez. ajouta-t-elle avant de poursuivre sa prière afin de demander miséricorde pour l’enfant à venir.
Les deux semaines qui suivirent lui semblèrent interminables et elle ne tenait plus en place. À l’école, elle était agitée, distraite et maladroite. À la chorale, elle n’écoutait pas, elle ne suivait pas, elle n’était pas là.
Pendant le week-end, Marie refusa de sortir après les corvées hebdomadaires. Elle insista pour que sa mère se repose.
Maman, reste assise, je vais m’occuper du lavage et, si tu veux, après je t’emmènerai un bol de ta sauce à spaghetti qui est en train de cuire avec une tranche de pain croûté avec du beurre dessus, je sais que tu aimes ça.
Diane accepta contre son gré de se laisser servir.
Marie, fière de prendre soin de sa mère et du bébé à venir, s'empressa de commencer la lessive. Elle tria les couleurs et mit une première brassée dans la laveuse. Comme elle était à côté, elle en profita pour touiller la sauce pour s’Assurer qu’elle n’était pas en train de coller puis, retourna à sa première tâche. Elle prit le contenant de détergent en poudre, plongea le gabarit dans la boîte et le remplit de poudre nettoyante et déversa la totalité de son contenu dans… Le chaudron de sauce à spaghetti.
Diane, hors d’elle envoya sa fille jouer dehors, jeta la sauce au savon, s’occupa elle-même de terminer la lessive et de se préparer un sandwich au jambon.
Le lundi suivant, Diane reçut un appel du bureau de son médecin pour lui annoncer que les résultats étaient arrivés et qu’il désirait la voir en consultation. Elle eut un rendez-vous dès le lendemain en fin de journée. La maisonnée entière était anxieuse, même Rachel qui, jusqu’ici n’avait manifesté que peu d’intérêt pour la grossesse de sa mère.
Encore une fois, lorsque Marie se retrouva dans son lit le soir venu, elle s’adressa à Dieu en prière. Mais cette fois-ci, il s’agissait davantage d’une série de suppliques plutôt que de louanges. Elle finit par s’endormir d’épuisement mais, non sans avoir préalablement promis au Seigneur de lui offrir sa vie contre celle de l’enfant à venir.
Le jour suivant, après les cours, les deux filles rentrèrent directement après l’école et attendirent impatiemment que leurs parents reviennent de la clinique. Assises sur le divan du salon, elles regardaient la télé lorsqu’enfin, la porte s’ouvrit. Diane entra la première suivit de près par André qui apportait de la pizza pour le souper.
Tout le monde s’installa à table avec leur pointe de pizza, sauf Diane qui avait choisi une grosse salade de poulet grillé.
Bon, la bonne nouvelle c’est que le bébé a tout ses chromosomes, que son cœur va bien et qu’il est en parfaite santé. La moins bonne nouvelle c’est que je dois me mettre au régime pour que cela reste ainsi pour lui et aussi, pour moi car je fais du diabète de grossesse. Voilà.
Marie fut soulagée. Elle avait l’impression qu’une tonne de brique venait de se retirer de ses épaules. Il semblait que l’air circulait mieux dans ses poumons.
Et puis, que pensez-vous de Anne-Louise comme prénom? Demanda Diane avec le sourire.
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